De Maxime Manga à Manzel Bowman, une nouvelle génération d’artistes africains, ou afro-descendants, met les logiciels graphiques et autres outils numériques au service d’une esthétique afrofuturiste. Et donc d’un discours émancipateur.
L’afrofuturisme n’est pas une simple tendance graphique ou culturelle, mais une utopie qui se construit à mesure que les artistes se réapproprient le passé, pour mieux imaginer le futur. Il est une réponse à l’effacement historique, voire un pont entre mémoire et projection. Rien de mieux que les mots du musicien et théoricien du mouvement Kodwo Eshun pour résumer cet état d’esprit, lui qui écrivait dans Plus brillant que le soleil en 1998 : « L’avenir est un bien meilleur guide pour le présent que le passé. Soyez prêt·es à échanger tout ce que vous savez contre un simple aperçu de l’avenir. »
Portraits intergalactiques, références à des communautés marginalisées, odyssées culturelles, motifs ancestraux et de l’avant-garde… Suivant cette dynamique, certains collagistes digitaux contemporains – parmi lesquels on trouve Manzel Bowman, Kaylan Michel, Idris Veitch et Maxime Manga – , forgent une esthétique empreinte de spiritualité, de science-fiction et d’identité noire. Bien loin de l’obsession spatiale des grandes entreprises technologiques et des milliardaires, ces artistes ne rêvent pas de conquête mais de réparation, d’émancipation et de récits alternatifs. Tour d’horizon d’une scène foisonnante qui ne fait pas que développer une vision d’avenir ; elle la met en pratique.
Maxime Manga
Depuis près d’une décennie, Maxime Manga chine avec passion et enthousiasme des images glanées dans des magazines de mode ou de botanique, tout en puisant son inspiration dans l’art africain traditionnel. De cette fusion naissent des portraits aux palettes de couleurs intenses, inspirés par le street art, où les visages semblent léviter au cœur de compositions stellaires, à la précision géométrique.
Figure montante du collage numérique, cet artiste camerounais revendique avec fierté son héritage, et met en lumière des identités souvent invisibilisées dans les récits dominants. Sa démarche, à la fois humaniste et visionnaire, superpose la photographie, les motifs numériques et les textures – parfois en patchworks – pour bousculer les représentations, et rendre l’art et l’image accessibles à tous.
Manzel Bowman
Avec près de 150 000 followers sur Instagram, Manzel Bowman, illustrateur et collagiste, est l’un des artistes numériques les plus connus de sa génération. Il imagine des paysages cosmiques où la puissance spirituelle rencontre un futur technologique : divinités hybrides et figures de souveraineté, toutes suspendues entre le passé et un avenir métaphysique, habitent des visions délicieuses d’épanouissement.
C’est dans cet esprit que Bowman, originaire d’Amityville, dans l’État de New York, entreprend de réinventer un jeu de tarot à partir d’un point de vue noir, où chaque carte rend hommage à des royautés africaines et des divinités égyptiennes. Suivant les pas des pionniers de l’afrofuturisme – Sun Ra, Miles Davis ou Afrika Bambaataa, grande figure du hip hop – , mais sans prétentions, il rêve d’un avenir où la grandeur de l’héritage africain pourrait défier les frontières terrestres pour se propager dans les étoiles.
Kaylan Michel
Kaylan Michel semble s’être éclipsée du monde de l’art depuis quelques années, ce qui ne fait en réalité que renforcer l’aura qui entoure son œuvre. Le travail de cette graphiste et artiste visuelle montréalaise d’origine bénino-nigériane, riche en détails saisissants, est un perpétuel voyage vers le mystère et le psychédélisme, qui met presque toujours au premier plan des femmes noires.
Dans ses images, elle intègre des éléments symboliques afrofuturistes – lunettes du futur, bijoux ancestraux dorés, soucoupes volantes… -, mais aussi l’élégance et la délicatesse d’un style japonais. Fortement influencé par Jean-Michel Basquiat, Gustav Klimt et Kehinde Wiley, son art fait vivre un monde où la diversité devient la norme, et où chaque culture, loin de se diluer, trouve une nouvelle résonance.
Idris Veitch
Inspiré par ses expériences contrastées en Jamaïque, aux États-Unis et au Japon, Idris Veitch interroge la perception de l’« autre » dans des compositions libératrices, à la fois étranges et pleines d’humour. À la croisée de l’archive et de l’avant-garde, il fait lui aussi cohabiter l’imaginaire, les paysages et les motifs floraux japonais avec des textiles et des accessoires traditionnels africains, dans l’idée de déconstruire les frontières culturelles.
À ces visions déjà bien saturées, Idris Veitch mêle des accessoires inspirés de la haute couture, tout en multipliant les références aux esthétiques numériques des années 2000, via un style glitch et des textures pixelisées. Formé au stylisme, la mode est pour lui non seulement un outil d’émancipation et de célébration de soi, mais aussi un moyen de brouiller les pistes et de jouer avec les codes du subconscient. Pour le dire autrement : tout, chez lui, est pensé pour accentuer les hallucination de son public.