Au cœur de la Biennale transnationale d’art contemporain du Sud (Bienalsur), qui propose des expositions et des résidences jusque janvier prochain, se distinguent notamment les artistes argentins, toujours plus attirés par les pratiques multimédias.
Si, dans l’imaginaire collectif, l’Argentine est avant tout l’épicentre du tango, pour les amateurs d’art vidéo que nous sommes, le pays est surtout le fief de toute une génération de créateurs audiovisuels qui s’affirment, petit à petit, comme les nouveaux représentants d’un film d’art exigeant et ambitieux. Un goût pour la vidéo particulièrement prononcé chez Gabriela Golder, cheffe de file de cette communauté d’artistes qui, à travers l’image en mouvement, exprime les enjeux politiques et créatifs d’un territoire précis. Sans jamais se montrer trop frontal, ni moralisateur.
Car c’est bien là la spécificité de l’Argentine, incarnée par Gabriela Golder comme par les artistes présentés lors de la Bienalsur : proposer des vidéos à même d’interroger, sans trop intervenir. Arrancar Los Ojos (« Arracher les yeux », en VF), le titre de l’œuvre de Gabriela Golder dit tout : il s’agit pour l’artiste de mettre les yeux au centre des conflits armés, en référence à toutes ces personnes ayant perdu un œil ou les deux lors de manifestations politiques, victimes des attaques oculaires orchestrées par les forces de l’État. En regardant ces images, le spectateur n’a-t-il pas, lui aussi, un rôle à jouer ? Loin d’être passive, ou simplement dans la contemplation, la scène argentine se distingue par ce rapport entre artiste et regardant. L’artiste pose les cartes, mais c’est bien au spectateur de les déchiffrer. Et ça, ça change tout.
En dehors des carcans
Au Mk2 de l’Avenue de France, nous avons ainsi pu découvrir les travaux de ceux qui utilisent la vidéo comme un moyen de réactiver la dimension critique de l’art. Une pratique iconoclaste qui cherche à redéfinir les contours de l’image en mouvement, voire même à en rejeter toutes les conventions. C’est par exemple le cas de Sebastián Díaz Morales, qui, avec Oráculo, enchaîne les images sans lien apparent, sans chercher à guider le spectateur dans sa compréhension ou son interprétation. Une hérésie pour un artiste, à qui l’on répète encore trop souvent de s’assurer que son oeuvre soit bien comprise par le public ! Pour seul indice, le créateur argentin nous donne ici un titre, pensé comme une référence à la tradition de l’oracle grec, source de sagesse et de prophétie. Et si, ce vol d’oiseau et ce sac plastique flottant au vent étaient des signes pour demain ?
Amener à la réflexion
Tout aussi rebelle, Liliana Porter a profité de la Bienalsur pour montrer La Charada, un film mettant en scène toute une série de figurines chinées, flirtant avec le kitsch et l’absurde. Derrière son scénario improbable, son humour noir et sa mise en scène loufoque, l’œuvre de Liliana Porter propose en réalité une critique de la condition humaine, laissant, une fois encore, le soin au spectateur d’en tirer ses conclusions. Car là où l’art prétend souvent offrir des réponses, l’Argentine, elle, portée par les artistes évoqués, mais aussi Liv Schulman, choisit de questionner – et plus encore, de remettre en question.