Au Grenier à Sel, une histoire animale du monde

Au Grenier à Sel, une histoire animale du monde
“Apollo” © Nicolas Darrot

À l’heure où l’humain tend à perdre l’usage du dialogue, le Grenier à Sel, à Avignon, profite de l’exposition Les animaux, ça vous parle ? pour explorer les modes de communication animale à travers le regard de dix artistes contemporains soucieux de voir s’il n’y aurait pas quelques leçons à en tirer : pas bête !

Après Ce que disent les plantes (2023) et Le futur est déjà là (2024), le Grenier à Sel donne la parole aux animaux. L’exposition Les animaux, ça vous parle ? clôt à merveille la trilogie Symptôme du vivant, nourrie des réflexions de l’anthropologue Philippe Descola, qui vise à réconcilier l’homme avec son environnement. Cet ultime volet est consacré aux modes de communication animale bien spécifiques, scrutés, écoutés, étudiés ou fantasmés par dix artistes venus d’horizons très différents et travaillant pour la plupart avec des outils numériques. Trois d’entre eux ont conçu une œuvre spécialement pour l’occasion, parmi lesquelles Hommage au Dodo (2025).

Grâce à cette œuvre, à la fois ludique et engagée, France Cadet ressuscite numériquement cet oiseau mystérieux, disparu moins d’un siècle après sa découverte sur l’île Maurice, à la fin du XVIIe siècle. Pour ce faire, elle a encadré un dessin réalisé dans le style des gravures anciennes et représentant son habitat naturel. Réalité oblige, l’animal y est absent. Mais, grâce à une application et un QR code, il est possible de l’y réintégrer, via l’écran de son smartphone. Il apparait alors poussant un cri, comme s’il tentait de communiquer avec nous. Aussi divertissant que profondément historique, ce tableau interactif constitue ainsi la parfaite introduction au fabuleux monde animal ouvert au dialogue et imaginé par Véronique Baton, commissaire et directrice du Grenier à Sel.

Dans l’intimité du monde animal

Contrairement aux deux volets précédents, ici, pas de déambulation guidée ni de parcours linéaire, mais trois thématiques bien affirmées, qui se dégagent volontairement de cet itinéraire où les animaux, semblant sortir d’un conte moderne, communiquent avec nous. La première, Au-delà des mots, consacrée à l’éloquence, nous plonge directement dans le bain, en compagnie d’un incroyable mollusque. La Pieuvre (1927) de Jean Painlevé (1902-1989), considéré comme un pionnier du cinéma scientifique, constitue un des tout premiers regards portés par l’homme sur le monde marin. Alternant plans intérieurs et extérieurs, le réalisateur dévoile les principales singularités de cette espèce tentaculaire : déplacement, prédation, communication, mimétisme… autant d’éléments aptes à constituer un langage, abordés ici avec un onirisme surréaliste envoûtant.

Guidée par le désir de rapprocher le visiteur de l’univers intime de l’animal, l’exposition présente aussi des enregistrements sonores issus de l’atelier de Knud Viktor (1924-2013) : un lapin qui dort, un insecte qui croque une pomme…

Une spectatrice déambule dans un espace d'exposition éclairé de quelques lumières depuis le plafond.
Aurae © LAB212

Une nature recomposée

Dans une démarche similaire, le collectif LAB212, formé par Béatrice Lartigue et Nicolas Guichard, se montre lui aussi soucieux de capter le vivant, et investit pour cela toute une salle avec Aurae : une étrange et enivrante forêt de faisceaux lumineux évoquant des troncs d’arbres, où résonnent des bruits d’animaux en tous genres. « Nous travaillons sur l’impact des technologies et la manière dont elles modifient notre perception de l’environnement. Ce projet est le prolongement d’une collaboration avec Hermès, faite en 2020, précise Béatrice Lartigue. Nous avons imaginé un écosystème évolutif où le visiteur se déplace, et cela, dans l’esprit de Georges Perec, en jouant avec des règles préétablies et des événements aléatoires. En hommage à sa dernière règle, nous les avons toutes brisées pour questionner le rapport entre le vivant, le numérique et le réel ».

Grâce à la captation de centaines de sons naturels retravaillés par le compositeur Chapelier Fou, LAB212 parvient à immerger le visiteur dans une nature recomposée, harmonieuse et en constante évolution.

Une machine robotique écrit une fable de la Fontaine sur une feuille blanche.
Les Fabulations de la Fontaine, de Filipe Vilas-Boas © Clément Mauduit

Une exposition à fables

Qui dit voix animale, dit fables animalières ! Au XVIIe siècle, Jean de La Fontaine leur avait déjà donné la parole, avec un objectif clair. « Je me sers des animaux pour instruire les hommes », disait-il. Dans son installation ingénieuse et poétique, Les Fabulations de la Fontaine (2020-2023), Filipe Vilas-Boas reprend cette maxime en faisant intervenir l’intelligence artificielle. Sa plume robotique invente et écrit une nouvelle fable à partir de deux noms d’animaux proposés par les visiteurs, et conclut son histoire par une morale à la hauteur de l’homme de lettres français ! Accrochée en préambule et illustrant l’affiche de l’exposition, Apollo (2017), félin en tenue d’astronaute mi-homme mi-bête de Nicolas Darrot, pourrait en être le héros.

Dans le cadre de Les animaux, ça vous parle ?, l’artiste a également créé Prince Vaillant (2025) : un pigeon automate enfermé dans un casque russe récupéré sur le front ukrainien, qui lui sert de cockpit, rappelant son rôle héroïque de messager durant la Grande Guerre. Souvent dotés de parole, les animaux de Nicolas Darrot tentent parfois de créer un véritable dialogue, et instaurent de ce fait une atmosphère quelque peu troublante.

Double écran où on voit un clown au téléphone et un singe en gros plan.
The Mime and the Ape © Erik Bünger

Établir le dialogue

À ce titre, France Cadet présente, en lien avec la thématique Dialogues partagés, plusieurs œuvres bavardes, dont Trophées de chasse (2008) : un ensemble de tableaux de chasse constitué de répliques robotiques d’espèces disparues ou menacées ; toutes y expriment leur mécontentement d’avoir été transformées en simples objets décoratifs. Si les choses étaient ainsi, l’homme prendrait peut-être conscience de l’absurdité de son comportement. D’où l’importance d’engager une discussion avec l’espèce animale, comme le souligne Erik Bünger dans ses films Nature, See You (2022) et The Mime and the Ape (2023).

Malgré un ensemble d’œuvres inégales et un nombre d’artistes probablement trop restreint, l’exposition avignonnaise réussit son pari : faire comprendre qu’il est désormais essentiel pour l’humanité d’écouter et de prendre en compte le monde animal, tout comme celui du végétal. Après tout, de leur survie dépend la nôtre !

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