Le Centre Pompidou s’apprête à fermer ses portes pour travaux. Lieu de brassage, d’expérimentation et d’avant-garde, il fut aussi le théâtre d’une révolution numérique discrète où l’art s’est déployé, pixel après pixel, dans des dimensions nouvelles. Petite rétrospective avant cette longue hibernation.
Les expositions qui ont bousculé les lignes de l’Histoire de l’art sont nombreuses à s’être établies entre les murs du Centre Pompidou. Bâtiment tout de tuyaux vêtu, le plus grand musée d’art contemporain d’Europe a aussi été l’un des premiers à célébrer l’usage de la technologie au sein de la pratique artistique. Retour sur cinq évènements qui ont contribué à faire avancer les mentalités.

1985 – Les Immatériaux
Imaginée par le philosophie Jean-François Lyotard et le théoricien du design Thierry Chapu, l’exposition Les Immatériaux fut l’effet d’une onde de choc lors de sa présentation. En 1985, l’informatique n’en est qu’à ses balbutiements, mais déjà, le Centre Pompidou saisit son potentiel poétique et philosophique. Plus qu’une simple exposition dans laquelle Marcel Duchamp, Kasimir Malévitch et Rem Koolhaas rencontrent des casques Philips, celle-ci se présente sous la forme d’une expérience sensorielle interrogeant la perte de matière dans les œuvres d’art et dans nos vies. Les murs parlent, les machines chuchotent : l’art entre dans l’ère de l’abstraction numérique. Un manifeste précurseur qui fera date dans l’histoire de la muséographie et de la pensée postmoderne.

2002 – Temps détournés
Sous-titrée « Vidéo et Internet dans l’oeuvre 1969-2002 », la rétrospective de l’artiste conceptuel allemand Jochen Gerz interrogeait la mémoire, le langage, et déconstruisait la présence pour mieux faire de l’absence un espace de pensée. Installations, bandes restaurées et plateforme web composaient ici une œuvre en dialogue constant avec le public. Cerise sur le gâteau ? Au coeur de cette monographie, une installation proposait aux visiteurs de répondre directement sur un ordinateur à la question : « Dans le contexte de l’art contemporain, quelle est votre vision d’un art inconnu jusqu’à maintenant ? ».

2015 – Julien Prévieux – Prix Marcel Duchamp 2014
Lauréat du Prix Marcel Duchamp, Julien Prévieux honore la tradition et investit les espaces du Centre avec une ironie douce et une lucidité implacable. Ses vidéos et installations traduisent les logiques invisibles de l’ère numérique : gestuelles imposées par les interfaces, corps captés par les dispositifs de sécurité, pensées encadrées par les algorithmes, etc. En interrogeant les mondes du travail, de l’économie, de la politique ou en jouant avec les dispositifs de contrôle, les technologies de pointe et les théories du management, Julien Prévieux fait de l’art numérique un outil de décodage poétique face à l’automatisation de nos existences.

2021 – Le mouvement des images
Avec cette exposition collective, proposée la même année qu’une retrospective autour de l’œuvre de Hito Steyerl, le Centre Pompidou proposait une archéologie sensible des images en mouvement. Cinéma, vidéo, dispositifs interactifs : les œuvres réunies mettaient en lumière l’évolution de notre regard face à des flux de plus en plus saturés, de plus en plus immersifs. Le spectateur devenait acteur, habité par les images plutôt que simple témoin. Dans un monde où tout s’anime, l’art vidéo dialogue avec la VR, l’installation se confondait avec l’environnement, et l’émotion soudainement s’installait dans le code.

2023 – NFT : L’art à l’ère de la blockchain
Dernier clin d’œil avant l’extinction des néons, le Centre Pompidou consacre en 2023 une exposition à l’univers des NFTs. Première collection publique française à intégrer ces œuvres nativement numériques, le musée accueille des artistes emblématiques du crypto-art, de Refik Anadol à Sarah Meyohas. Dans cette exposition, on n’achète pas un tableau, on possède un token. Le geste artistique se joue dans la transaction, l’identité, le protocole. La valeur migre : de l’objet vers le code.