Avant de s’imposer dans les musées, l’art numérique trouve sa source dans les bibliothèques. « Book Club » revient sur ces livres essentiels des mouvements créatifs explorant les liens avec les nouvelles technologies. IA, métavers, réalité augmentée… Ces auteurs traitent de tout ! Ce mois-ci, focus sur Un nouvel âge de ténèbres – La technologie et la fin du futur, une analyse 2.0 de l’humanité signée James Bridle.
L’auteur
Né en 1980, James Bridle est célèbre pour son œuvre protéiforme – située à la croisée de la philosophie, de la science et de l’art -, laquelle interroge depuis près de deux décennies les formes invisibles du numérique, les structures algorithmiques et leurs effets, à la fois sociaux, politiques et cognitifs. Artiste, auteur, conférencier, professeur… Le Britannique, aujourd’hui basé à Athènes, touche à tout !
Son parcours en atteste : après avoir soutenu une thèse sur « les applications créatives de l’intelligence artificielle » à l’University College London, James Bridle rejoint l’Université de New York en tant que professeur adjoint au programme de télécommunications interactives et débute, en parallèle, une carrière d’artiste. Penseur unique en son genre, il est également à l’origine du courant de la « Nouvelle Esthétique », désignant les porosités entre mondes virtuels et physiques. À travers ses multiples supports et projets, James Bridle scrute le monde-machine et ses mystères, refusant l’opposition stérile entre humanisme et technique.
Le pitch
Un nouvel âge de ténèbres n’est pas un réquisitoire, plutôt un signal d’alarme poétique. Dans cet ouvrage (au titre évidemment inspiré par H.P. Lovecraft), James Bridle s’attaque à l’effondrement de nos repères contemporains à l’ère de l’IA, des réseaux opaques et de la production automatisée du savoir. À travers cet essai, l’auteur, à qui l’ont doit aussi l’essentiel Toutes les intelligences du monde, tente de nous faire réaliser que non, ce n’est pas tant l’ignorance qui nous menace, mais un excès de données sans compréhension, une prolifération d’outils sans maîtrise. De la météorologie aux modèles de deep learning, en passant par la cartographie, les champignons ou les dauphins, l’auteur réussit le tour de force de tisser un récit foisonnant, où les savoirs marginaux rencontrent les silences technologiques.
Notre avis
Grâce à une écriture aussi dense que limpide, James Bridle réussit à rendre compréhensible et pertinent ce qui l’anime ; non pas opposer l’humain à la machine, mais réapprendre à habiter le monde à ses côtés. Ici, le Britannique plaide pour un retour à l’incertitude fertile, à l’intuition. Jamais catastrophique, il dessine une nouvelle manière de penser, plus lente, plus sensible, plus collective. « L’histoire de l’automatisation et de la connaissance computationnelle, depuis les champs de coton jusqu’aux microprocesseurs, ne se limite pas au lent remplacement des travailleurs humains par des machines plus compétentes qu’eux. Cette histoire raconte aussi comment le pouvoir se concentre dans de moins en moins de mains et la compréhension dans de moins en moins de têtes ».
Ce n’est là qu’un des nombreux passages éclairants de ce Nouvel âge de ténèbres, traduit en 2022 aux éditions Allia et toujours aussi nécessaire pour celles et ceux qui souhaitent comprendre pourquoi, dans l’hyper-lisibilité du monde numérique, quelque chose d’essentiel nous échappe.