Il y a d’abord eu les études à la Haute École des Arts du Rhin, puis à l’école d’arts la Esmeralda à Mexico. Il y a ensuite eu des résidences en Guyane, au Congo ou au Portugal. Aujourd’hui, il y a surtout ces multiples collages numériques, qui flirtent avec le divin, les rêves, les contes initiatiques et font de Shivay La Multiple, 31 ans, une entité plurielle qui, via le spirituel, entend révéler le réel.
Quelques semaines après avoir conclu une résidence de recherche au Magasin CNAC, dans le cadre de la saison de programmation artistique autour de Julien Creuzet, Shivay La Multiple sera présent.e à la rentrée à la Biennale de Lyon. L’opportunité pour l’artiste, qui dit être établi.e entre « Paris, Nouméa et la sphère numérique », de prolonger ses obsessions thématiques et esthétiques, identifiables à chacun de ses collages numériques et décryptées ici par ses soins.
La Monte Young et Marian Zazeela – Dream House
« C’est une œuvre que j’ai pu découvrir en première année aux Beaux-Arts, lors d’une exposition à Lyon pour laquelle on avait fait le déplacement. Je me suis retrouvé.e complètement aspiré.e par cette installation qui consiste à enlever ses chaussures pour entrer dans un espace entièrement recouvert de moquette, où tout est éclairé dans des lumières roses et violacées, où le son est constant. En bougeant légèrement la tête, j’ai fini par me rendre compte que ce son se modifiait légèrement, et que j’étais donc en capacité de composer moi-même la bande-sonore en fonction de mes mouvements.
Ce jour-là, j’ai pris connaissance dans toute mon entièreté corporelle de tout ce que pouvait proposer une installation faisant appel à tous les sens – il y avait également de l’encens au sein de cet espace. Très honnêtement, j’ai eu la sensation de voyager. J’étais transcendé.e, si bien que j’y suis resté.e près de trois heures. Je pensais que ça faisait une demi-heure à peine, mais non… Depuis, j’essaye de proposer ce type d’installation : une œuvre dans laquelle on entre pour que chacun et chacune puisse profiter de l’expérience à même de lui permettre de composer son propre récit. Indéniablement, Dream House a été déterminante dans mon parcours artistique. »
Les cartes
« J’ai toujours été passionné.e par les jeux de cartes en général, par leur composition, les couleurs choisies, tout le symbole qu’elles comportent, et comment chaque carte peut être différente d’un jeu à un autre. Évidemment, j’ai tout de même une petite préférence pour la Scopa, les tarots traditionnels ou divinatoires, les jeux de chiromancie ou la Lotería, un jeu mexicain. Aujourd’hui, tous ces jeux de cartes sont clairement une inspiration, dans le sens où tout cette réflexion autour du symbole, de la composition et des vibrations des couleurs est une veine centrale de mon travail. »
Le fleuve et ses eaux
« Le fleuve en tant qu’entité politique, économique, spirituelle et poétique renvoie à ce sur quoi je travaille depuis quatre ans. Le premier fleuve qui m’a inspiré, ou plutôt hypnotisé, c’est le fleuve Maroni qui se trouve entre le Suriname et la Guyane française. En 2019, j’ai pu faire une résidence à Papaïchton, un village dans la forêt amazonienne, le long de ce fleuve. J’étais tellement hypnotisé.e que j’allais voir cette eau s’écouler tous les jours… Aussi, j’ai pu en profiter pour monter et descendre le fleuve en pirogue, et j’ai été impressionnée par les usages du fleuve, ainsi que par toutes ces subtilités dans ses reliefs, dans la couleur de ses eaux, dans ses sédiments, dans la faune et la flore qui vivent autour, dans et sur le fleuve. Aujourd’hui, chaque fleuve que je traverse, je l’envisage comme une méditation. Je l’observe minutieusement, je passe des heures regarder l’eau s’écouler et à contempler toutes ces subtilités de débits, de sédiments et même de couleurs. »
La calebasse
« La calebasse est un objet qui m’accompagne dans ma recherche. C’est un “fruit-bois” que j’ai découvert en Guyane française, et auquel j’ai été initié.e par un maître des traditions traditions bushinenge, Kaliman. Aujourd’hui, j’essaye de rencontrer au maximum des personnes qui ont des usages précis de cet objet pluriel, autour duquel gravite de nombreux récits. La calebasse, c’est à la fois un objet que l’on peut utiliser dans la vie de tous les jours pour boire ou contenir des aliments, mais c’est aussi un objet dans lequel on vient déposer des offrandes. Indéniablement, c’est aussi un instrument de musique, une caisse de résonance qui fait le lien entre l’humain et le divin, et que l’on retrouve notamment dans des instruments comme la kora, berimbau ou le balafon.
En ce moment, je travaille en écoutant beaucoup de musiques faites avec la calebasse, notamment des sons connus de capoeira, une discipline afro-brésilienne qui est née de la créolisation de différentes nations d’Afrique qui se sont retrouvées au Brésil à cause de l’esclavage et qui ont mixé leurs usages, leurs contes et leurs traditions. Pour la prochaine Biennale de Lyon, à venir en septembre, j’ai été sélectionnée dans la partie « artistes émergent.e.s » et je prépare une pièce pour laquelle j’écoute énormément cette vibration du berimbau, et donc de la calebasse ».
PhotoFiltre
« Avec le recul, je me rends compte à quel point l’usage de ce logiciel a été décisif. Ça été le premier logiciel que j’ai eu sur un ordinateur, et avec lequel j’ai commencé à travailler à partir de photos que je prenais, voire même à réaliser des espèces de collages numériques. Le format de ce logiciel a orienté ma manière de travailler, et c’est encore aujourd’hui la manière dont j’utilise tous les logiciels, que ce soit sur mon téléphone ou mon ordi, en couches, en collages, en utilisant des données que j’ai moi-même pris en photo ou enregistrées. »