Dans cette série, Fisheye Immersive célèbre ce que l’art vidéo compte de plus singulier et de plus représentatif de notre époque. L’occasion de rendre hommage à Laurent Grasso, qui, avec Orchid Island, pense le cinéma comme un espace liminaire, à l’intersection du film et du paysage.
Impossible de ne pas se souvenir de sa découverte à la galerie Perrotin à Paris il y a pile deux ans. Impossible aussi de ne pas être à nouveau émerveillé en l’observant aujourd’hui au sein de l’espace londonien de l’institution – dans le cadre d’une exposition qui court jusqu’au 20 décembre prochain -, tant Orchid Island est une œuvre vidéo d’une rare beauté. Étirée sur 19 minutes et signée Laurent Grasso, celle-ci a été tournée dans des différents sites isolés autour de l’île de Lanyu, à Taïwan. En résulte une expérimentation en noir et blanc, mais surtout en zones d’ombre, d’ellipse, d’absence, qui se découvre au son d’une musique hypnotique signée Nicolas Godin – moitié du groupe Air.
Matérialisant une fusion délicate entre l’image documentaire et l’aporie de la fiction, l’objet filmique se désagrège doucement et incarne la capacité du lauréat du prix Marcel Duchamp 2008 à faire de simples images de paysage de véritables expériences métaphysiques.
Le mystère du rectangle noire
Née d’une série de questionnements sur ce que signifie la représentation d’une version idéalisée de la nature, l’œuvre se présente sur un immense écran LED, une surface lumineuse sur laquelle se joue le scintillement des tropiques, la lenteur d’un écran suspendu. Et surtout, l’énigme d’un rectangle noir.
Dans Orchid Island, la géographie tropicale se trouve en effet prise dans une dialectique du voile et de la révélation. En projetant un contrepoint abstrait, ce mystérieux rectangle noir, flottant au-dessus des forêts, des rivages et de la mer, ne perturbe-t-il pas la logique du paysage ? N’installe-t-il pas également une présence étrangère qui trouble notre regard et vient hanter la scène, dans une sorte d’anomalie spectrale ? À l’évidence, oui.

Autre élément troublant, l’abolition de la présence humaine. Ici, seules les formes végétales, le jeu des ombres et la dérive du rectangle persistent. Mais attention : l’absence humaine ne signifie en rien le vide ; elle incarne au contraire le seuil, l’endroit même où la nature se métamorphose en site réflexif. Entre utopie et dystopie, Orchid Island met en lumière la construction du regard exotique de nos sociétés occidentales. Qu’il s’agisse de celui des premiers explorateurs ou de celui des néo-colons qui s’ignorent.