Dans cette nouvelle série, Fisheye Immersive célèbre ce que l’art vidéo compte de plus singulier et de plus représentatif de notre époque. À ce titre, Phantom Day and Stranger Tales de Ho Tzu Nyen, programmé à Arles cet été, avait toute sa place dans nos colonnes.
Artiste, conteur et philosophe du visuel, Ho Tzu Nyen – récemment nommé directeur artistique de la prochaine Biennale de Gwangju -, travaille les images comme d’autres taillent les rêves. À la scie, à la brume, au glitch. À Arles, dans l’espace de La Mécanique Générale du LUMA, l’artiste visuel déploie Phantom Day and Stranger Tales comme un rituel où les spectres du passé colonial de l’Asie du Sud-Est rencontrent les fantômes de l’intelligence artificielle. Tout un programme organisé autour d’une oeuvre centrale, Phantoms of Endless Day, sorte de film inachevé évoquant la Seconde Guerre mondiale du point de vue de son pays natal, Singapour.
Ce que la machine murmure à l’oreille du temps
Autour, cinq œuvres vidéo opèrent comme une fission du jour en son double spectral. Le jour fantôme, c’est celui qui existe en négatif, en creux, entre les faits et leurs récits. Inspiré par l’histoire politique de Singapour, Ho Tzu Nyen exhume des figures troubles, à l’image des agents doubles, des révolutionnaires oubliés ou des visages floutés de la mémoire, qu’il recode en images via des modèles d’IA. Une manipulation qui donne vie à un résultat pour le moins vertigineux : des visages qui ne sont jamais tout à fait les mêmes, des dialogues qui se réécrivent à chaque boucle, des vérités qui s’étiolent dans un brouillard algorithmique. Hermétique à la passivité, le visiteur est happé dans une narration circulaire où tout devient incertain. Qui parle ? Qui se souvient ? Et surtout, qui écrit l’histoire ?
L’IA, dans son œuvre, n’est pas un outil mais bien un véritable partenaire 2.0 qui réanime les silences et les flous. Dans Stranger Tales, l’étrangeté n’est pas qu’un simple effet : elle est le cœur battant de la narration. Écrans, voix synthétiques, mouvements erratiques de caméra, tout est fait ici pour évoquer une séance de spiritisme numérique. D’ailleurs, le dispositif de mise en scène évoque moins le cinéma que le rêve lucide, ce moment étrange où l’on se sait pris dans une fiction mais où l’on continue, malgré tout, à y croire. Au spectateur bien assis dans son siège de velours rouge, Ho Tzu Nyen préfère un visiteur débout, qui déambule, troublé par ces récits sans véritable début, ni fin. Le montage est dissous, l’écran est démultiplié. Le film devient installation, la fiction, elle, se veut environnement. Un exemple de post-cinéma dans lequel il ne s’agit pas de représenter, mais bien de faire éprouver. Pour espérer, questionner.