Cécile Babiole, du tissage au langage algorithmique

03 octobre 2024   •  
Écrit par Zoé Terouinard
Cécile Babiole, du tissage au langage algorithmique
“Loops of the Loom”, de Cécile Babiole ©Lab GAMERZ

Dans l’écrin vibrant de l’ancien Palais de l’Archevêché d’Aix-en-Provence, les fils de Cécile Babiole se tendent, se croisent, et racontent une histoire que les siècles ont tissée. 

Loops of the Loom, l’exposition façonnée lors d’une résidence de l’artiste française au Lab GAMERZ, à Aix-en-provence (2023-2024), ne se contente pas d’explorer la tapisserie comme simple héritage matériel : elle transforme chaque motif, chaque boucle, en l’écho lointain d’une technologie oubliée, en une quête anthropologique où se mêlent les genres, les langages, et les mémoires.

Art millénaire pratiqué par des mains féminines depuis le néolithique, le tissage se meut, sous les doigts de Cécile Babiole, en un pont entre le passé et l’avenir. Il est le miroir d’une technique ancestrale, où le geste se fait algorithme, où le motif devient code. L’histoire, comme une tapisserie complexe, se déroule alors devant nous : du métier Jacquard à la mémoire magnétique des premiers ordinateurs, chaque fil raconte une trajectoire, chaque nœud une intersection entre le technique et le social.

Cécile Babiole en train de tisser
Cécile Babiole en train de tisser ©Lab GAMERZ

Tisser, c’est coder

Pour Cécile Babiole, active depuis les années 1980, dans le champ musical comme dans les arts électroniques et numériques, c’est simple : tisser, c’est coder. Ses fils électriques, traversés de signaux audio, s’étirent et s’entrelacent pour donner vie à des partitions sonores, des paysages acoustiques où chaque motif tissé devient musique. L’œuvre centrale de cette exposition éponyme, Loops of the Loom, est la parfaite métaphore de ce tissage algorithmique. Entre la préhistoire des sociétés matriarcales et la révolution informatique des années 1950, l’artiste fait dialoguer des temporalités, des cultures et des techniques, comme pour mieux exposer chaque visiteur à un chant silencieux, où l’électronique remplace la laine, où l’algorithme remplace la main.

L’exploration de l’univers de Cécile Babiole se poursuit avec Radio TXT, une installation dans laquelle la brodeuse contemporaine tisse littéralement une antenne en câbles afin de diffuser un audio-guide poétique, une émission où le tissage est prétexte à recueillir les récits et les anecdotes d’un savoir-faire longtemps invisibilisé. Son œuvre devient alors un espace de partage, une onde porteuse de mémoires tissées et d’histoires tues. Dans Tisser la terrain de football, elle transforme le GPS en un métier à tisser, arpentant le terrain, reliant les coordonnées géographiques entre elles. Elle offre ainsi une performance où le fil invisible des satellites trace des lignes, symboles d’un espace masculin détourné, réinvesti par l’acte féminin du tissage. La marche devient métaphore, le terrain un canevas. Et puis, il y a Sur le Fil, où elle inspecte, sous un microscope, les fibres qui composent ses vêtements, égrenant la composition des textiles comme une litanie : une déclaration presque intime, où la matière dévoile ses origines, ses transformations, ses voyages invisibles à travers les chaînes de production. Ce que l’on observe ici, c’est aussi un geste de dévoilement, à la fois poétique et critique, qui interroge notre rapport à ces matières si familières, mais si souvent oubliées.

Une approche technoféministe 

Le travail de Cécile Babiole est bien plus qu’un simple hommage à l’histoire des techniques textiles. Il est une véritable plongée dans un savoir-faire longtemps considéré comme exclusivement féminin et réduit au rang de décoration, mais qui, sous le regard de l’artiste, se révèle dans toute sa complexité algorithmique. Chaque élément composant ses travaux raconte une histoire : celle d’un geste ancien, d’un savoir artisanal devenu base des langages numériques d’aujourd’hui. À travers ses œuvres, l’artiste fait danser les fils électriques et les fibres textiles entre elles. Une chorégraphie au cœur de laquelle se dessine une critique subtile du genre, une réflexion sur la manière dont les techniques et les savoirs ont été codifiés, classifiés, invisibilisés. 

Forte de ce contexte technoféministe, l’exposition Loops of the Loom invite à écouter ce que le tissage a à nous dire, à entendre les échos d’un langage ancien, devenu algorithmique, devenu universel.

  • Loops of the Loom, du 12.10.24 au 19.01.25, Musée des Tapisseries, Aix-en-Provence.
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