C’est quoi ton job ? Charles Carcopino, vidéaste et directeur artistique

C'est quoi ton job ? Charles Carcopino, vidéaste et directeur artistique
Portrait de Charles Carcopino ©Paul Rousteau

Longtemps engagé comme freelance pour curater différents festivals ou diverses expositions d’art numérique, Charles Carcopino a su conserver l’entrain et la curiosité qui font parfois défaut à celles et ceux évoluant depuis plus de vingt ans au sein d’un même secteur. Désormais directeur artistique du Grand Palais Immersif, où se tient actuellement l’exposition Pixels, le Parisien revient sur deux décennies d’une carrière rythmée par la passion, les aléas d’une industrie en quête de repères et la création d’œuvres vidéo, son autre passion.

Remontons un peu le temps. Est-ce que ta pratique artistique précède ton travail en tant que curateur et commissaire d’exposition ?

Charles Carcopino : J’ai commencé par le spectacle vivant à la Maison des Arts et de la Culture, à Créteil, où j’ai travaillé pendant 16 ans. J’étais notamment en charge du studio de création numérique, pensé pour accompagner des chorégraphes et metteurs en scène dans la création de dispositifs visuels, interactifs et immersifs – un terme que l’on n’employait pas encore. À cette époque, Créteil était précurseur du fait de l’intérêt de la ville pour le numérique, notamment via EXIT, un des premiers festivals d’art numérique en France, qui m’a permis de découvrir l’existence de ces pratiques artistiques – une révélation ! Je me retrouve alors à travailler en tant que médiateur stagiaire sur le festival pendant deux ans, avant de me voir confier la charge de ce studio. C’est vraiment à partir de ce moment-là que je commence à accompagner des chorégraphes dans le travail de création et que je deviens moi-même peu à peu vidéaste.

En 2008, tu finis par reprendre le commissariat artistique du festival EXIT. Te souviens-tu de la pression ressentie à ce moment-là, des enjeux auxquels tu faisais face ?

CC : Pour être totalement honnête, tout s’est passé sans que je sois réellement préparé. Je n’avais jamais imaginé être commissaire d’exposition… Cela dit, le festival était sur le point de disparaître et je ne pouvais pas l’accepter. Alors, j’ai mis au point un projet, qui a plu et qui m’a permis de gérer la direction artistique de l’évènement jusqu’en 2015. Pendant toute cette période, ma pratique de vidéaste en est ressortie plus forte. Lors des deux premières éditions en tant que commissaire artistique d’EXIT, j’en ai même profité pour présenter des projets personnels, avant d’arrêter. La pression était trop intense, il me fallait séparer les choses, me mettre au service d’une dramaturgie et ne pas tout mélanger. Ce qui ne m’empêche pas de mettre beaucoup de moi au sein des différentes expositions que je curate, que ce soit à travers la programmation, la narration ou la scénographie.

Gros plan de Charles Carcopino sur les toits de Paris.
Charles Carcopino ©Paul Belêtre

À aucun moment une de tes activités n’a pris le pas sur l’autre ?

CC : Jamais de manière très affirmée ! D’autant que j’ai l’impression que les deux professions se nourrissent l’une et l’autre. N’étant pas théoricien de formation, j’ai pour habitude d’apporter mes compétences techniques sur chacune de mes expositions, que ce soit en faisant la scénographie ou en conseillant les artistes programmés sur la manière de présenter leurs œuvres. Toutes ces réflexions, j’ai pu les avoir en tant que vidéastes, je sais donc quand une œuvre doit se mettre au service d’une dramaturgie ou lorsqu’elle doit s’effacer. Au Grand Palais Immersif, je retrouve d’ailleurs un peu de ces deux professions, dans le sens où il s’agit de monter des dispositifs visuels et immersifs, mais aussi de créer des expériences pour le visiteur. Quand on y pense, il y a là un travail de création/production et un autre, purement lié à de la direction artistique.

Avant d’occuper ce poste au Grand Palais Immersif, qui amène de fait une certaine forme de stabilité, cet équilibre entre ta pratique de vidéaste et ton activité de curateur résultait-il d’une motivation personnelle ou était-il lié à une réalité financière ?

CC : Aujourd’hui, c’est un choix ! Je ne manque pas de boulot, ni de possibilités et de propositions, mais c’est vrai que le fait d’avoir ces deux casquettes m’a longtemps permis de multiplier les sources de revenus. Surtout à partir de 2015, année où je quitte EXIT, où je me lance réellement en freelance et où je comprends que les budgets vacances et voyages prospectifs sont souvent les mêmes (rires).

CharlesCarcopino
« N’étant pas théoricien de formation, j’ai pour habitude d’apporter mes compétences techniques sur chacune de mes expositions. »

Qu’est-ce qui se passe en 2015 pour que tu prennes une telle direction ?

CC : À ce moment-là, Didier Fusillier, qui était directeur de la Maison des Arts et de la Culture, à Créteil, a pris la présidence de La Villette. Didier, c’est celui qui m’a tout appris, qui m’a placé sur tout un tas de projets et m’a éveillé à ce monde culturel. Je me suis donc dit que c’était le moment de tenter une nouvelle aventure, d’autant que la Maison des Arts entrait dans une longue période d’incertitude. D’ailleurs, le nouveau directeur a fini par cesser toutes les activités liées au numérique, celles qui m’animaient… J’ai donc pris la bonne décision. Et puis Didier me sollicitait à cette époque pour un projet excitant : imaginer le festival 100%, clairement porté vers la création numérique à ses débuts. Tout ça m’a donné l’impulsion nécessaire. J’avais tout de même besoin d’être rassuré : quitter la Maison des Arts, un lieu que je connaissais très bien, depuis 16 ans, ce n’est pas quand même pas rien.

Spectatrice interagissant dans l'obscurité avec une œuvre immersive.
PIXELS, de Miguel Chevalier ©Grand Palais Immersif

Parmi les grandes questions posées par l’art numérique, il y a notamment celle de la monstration. Penses-tu que ton travail de vidéaste te permet d’avoir une approche plus artistique et plus sensitive de ces œuvres qui peuvent parfois être floues pour le grand public ?

CC : Peut-être (rires). Ce qui est sûr, c’est que l’expérience au sein du festival EXIT, où l’on exposait des œuvres dans trois espaces différents (à Créteil, à Maubeuge et à la Gare Saint-Sauveur de Lille) avant de les faire tourner dans des lieux divers et variés partout en France, m’a permis de développer cette réflexion, et donc d’imaginer de nouvelles façons d’exposer l’art numérique. À chaque fois, il y avait un travail d’adaptation important, il fallait mettre en scène de nouveaux espaces, y compris ceux qui n’ont rien à voir avec des lieux d’exposition… On en revient alors à ce background de vidéaste. Indéniablement, celui-ci m’aide à imaginer différentes manières de penser une scénographie, et donc de ne pas aller vers des dispositifs impossibles à monter.

Depuis que tu évolues dans ce milieu, de nombreuses agences ou boites de production se sont spécialisées dans l’organisation d’évènements immersifs ou virtuels, tandis qu’une scène artistique s’est consolidée. Notes-tu d’autres différences entre le paysage actuel et celui du début des années 2000 ?

CC : À l’époque, il n’y avait à peine que quelques festivals. Aujourd’hui, c’est certain que l’art numérique prolifère, mais cela n’empêche pas de se poser les bonnes questions : est-ce que ce que l’on voit est suffisamment fort ? Est-ce qu’on arrive à créer une narration entre les œuvres ou est-ce que l’on répète finalement un phénomène de mode, déjà vu mille mois ? L’enjeu de mon métier est de ne pas être simplement dans la fascination technologique ou l’apologie de la technicité. Il faut aller au-delà des limites que celles-ci imposent. Prenons la VR, par exemple : il faut bien reconnaître que le fait d’enfiler un casque ne fait pas vraiment rêver, tant sur le plan artistique que sur l’idée que l’on se fait d’une société. Il faut renouer avec l’idée d’une expérience collective. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien si teamLab cartonne avec 14 000 visiteurs par jour au sein des deux lieux créés au Japon. Je sais que beaucoup critiquent, disent que ce n’est pas de l’art ou que ça ne raconte rien. N’empêche que c’est super bien fait et qu’ils ont réussi à développer un univers visuel hyper marqué.

CharlesCarcopino
« Il faut bien reconnaître que le fait d’enfiler un casque ne fait pas vraiment rêver, tant sur le plan artistique que sur l’idée que l’on se fait de la société.  »

Au fond, n’a-t-on pas besoin de telles propositions, foncièrement populaires, pour servir de porte d’entrée et permettre au grand public de faire un premier pas vers les arts numériques ?

CC : Oui, je suis d’accord ! Sur ce plan, le Nxt Museum, à Amsterdam, est pour moi le lieu qui réalise le travail le plus pertinent. L’équipe a su s’affranchir des expériences immersives autour de peintres morts (Klimt, Van Gogh…) pour s’intéresser avant tout aux artistes vivants et contemporains. Le musée se trouve dans un quartier assez excentré d’Amsterdam, pas du tout évident d’accès, mais le fait est que ça cartonne.

Être curateur implique évidemment de nombreux déplacements. Quels lieux ou festivals aimes-tu fréquenter tout particulièrement afin de dénicher de nouveaux artistes ?

CC : Même si la liste évolue au fil des ans, Ars Electronica reste une valeur sûre. Ça fourmille tellement… Berlin et Londres sont également deux villes hyper dynamiques dans le secteur numérique : de nouveaux lieux y ouvrent constamment, c’est assez fascinant à observer. Sinon, je citerais également le SuperBlue Miami, qui s’intéresse vraiment aux œuvres d’art et essaye d’imaginer de nouvelles formes, la Tate Modern, le ZKM ou encore le Tokyo Node, qui propose une vision un peu plus large du champ numérique, pas uniquement tourné vers la technologie. Enfin, en Europe, je suis obligé de citer la Biennale Chroniques, le L.E.V. et le Mira Festival, très intéressant de par la manière dont il orchestre une rencontre entre les musiques électroniques et les installations numériques. Les pièces sont vraiment en dialogue avec les différentes scènes, ça participe à créer des expériences nouvelles.

Spectatrice au beau milieu d'une salle d'exposition inondée de couleurs et de formes immersives.
PIXELS, de Miguel Chevalier ©Grand Palais Immersif

Tu es donc trop modeste pour citer le Grand Palais Immersif ?

CC : (Rires) Disons que je suis très fier de la direction que l’on souhaite prendre actuellement. Par rapport à PIXELS, par exemple, je trouve très intéressant qu’un lieu comme le GPI propose une telle exposition, dans le sens où Miguel Chevalier est un pionnier et qu’il n’avait jamais eu de grande exposition à Paris jusqu’à présent. Pour une telle institution, c’est une manière d’aller très clairement vers la création numérique, vers des artistes contemporains qui affirment une vraie personnalité. Tout l’enjeu, pour la suite, sera de proposer une programmation dont on est fier et qui provoque un réel intérêt auprès du public.

D’autant que Miguel Chevalier développe un univers suffisamment foisonnant pour ne pas paraître trop froid ou intimidant…

CC : Clairement ! Cette exposition a quelque chose de très joyeuse. Il faut quand même admettre que les mondes virtuels peuvent paraître très angoissants pour les gens peu habitués à ce genre d’esthétique. D’ailleurs, l’art numérique s’est longtemps limité à un mec dans le noir, derrière son laptop, en train de diffuser des visuels en noir et blanc qui grésillent ! Je caricature, bien sûr, mais c’est pour dire que ça a longtemps manqué de glamour ou d’humanité. Aujourd’hui, on sort de ces propositions, on ose des palettes de couleurs super fortes et on s’autorise à proposer autre chose. C’est super ! Ça étend les possibilités, et ça permet d’envisager l’avenir des expositions numériques autrement.

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