Avec cette exposition en ligne, Feral File transforme l’univers vidéoludique en territoire de foi contemporaine.
Dans Console Spirituality, le jeu vidéo devient un espace de croyance, un lieu où s’inventent de nouveaux rituels numériques. Curatée par le duo LAN Party (Vienna Kim & Benoît Palop, à retrouver chaque mois dans notre newsletter éditoriale), l’exposition en ligne, visible dès le 24 juin sur la plateforme Feral File, réunit cinq artistes utilisant les codes du jeu afin de questionner notre monde contemporain.
Cinq propositions, cinq visions et une seule proposition, aussi dense qu’habitée, dans laquelle la spiritualité s’incarne dans les méandres du numérique. Ici, l’expérience vidéoludique devient une forme de croyance, une nouvelle religion. Un espace où l’on expérimente d’autres manières d’exister, d’être au monde et d’être soi. « Les jeux vidéo ont un pouvoir distinct : ils permettent aux joueurs de transcender la réalité vécue, rappellent les commissaires, Grâce à une construction minutieuse des mondes, au développement complexe des personnages et à la camaraderie du jeu en ligne, ils favorisent des conditions mentales, émotionnelles et interpersonnelles qui vont bien au-delà du simple divertissement. En réalité, les jeux vidéo offrent une forme de spiritualité. »
De la manette à l’élévation
Divisée en quatre niveaux, l’exposition se vit comme une quête spirituelle, un voyage initiatique à travers le langage du jeu. Le parcours débute dans les souterrains de Dungeoneer, série signée John Provencher, où chaque œuvre prend la forme d’une carte de Doom générée à partir de l’œuvre collectionnée. En jouant avec la question virale « Can it run Doom? », l’artiste convoque aussi bien la mémoire collective du médium que les limites du regard passif du spectateur. Qu’on se le dise, Console Spirituality n’est pas une expo que l’on traverse, mais bien que l’on ressent.
Chez Sabato Visconti, le glitch se fait invocation. Dans Angelcores & Heavenly Sprites, l’artiste manipule des jeux rétro pour faire émerger des anges pixélisés, inspiré de vieux jeux comme ActRaiser, Legendary Wings ou Chubby Cherub, mais aussi du Glitch Feminism de Legacy Russell. Des fragments de dialogue mystiques, des échos d’un divin reprogrammé qui inscrivent la pratique de Visconti dans une faille numérique, en une sorte d’acte de résistance, un geste queer, presque chamanique.
Détourner les fondements du jeu vidéo
Autre forme de procession : les Data Pilgrims d’Emi Kusano, réalisés en collaboration avec l’IA, sont des paysages oniriques traversés par des figures anonymes en quête de silence intérieur. Inspirée des « walking simulators », cette série refuse la logique du score. Pas de gagnant, pas de but, seulement le droit d’errer. Chaque image devient un espace méditatif, où les fragments de code prennent la texture d’une prière. Enfin, Omoiyari, série co-signée par Keiken et Gabriel Massan, mêle mémoire, compassion et esthétique publicitaire. Deux entités numériques, Uxkme et Xibam, y cherchent à se souvenir d’elles-mêmes.
Déclinées en affiches AR, ces pièces empruntent les codes visuels de la culture du jeu vidéo pour mieux les détourner ; derrière l’apparente séduction, les oeuvres invitent au soin et à l’altérité. En s’appuyant sur le concept japonais d’omoiyari – l’empathie active –, les artistes offrent une alternative sensible à l’agitation du monde connecté. Et finissent d’achever le lien entre jeu vidéo et élévation spirituelle.