En Corée du Sud, les artistes sont prêts à prendre les commandes de la scène numérique

En Corée du Sud, les artistes sont prêts à prendre les commandes de la scène numérique
Yeondoo Jung ©ArtPlace

Cet été, les artistes coréens, catégorie numérique, suscitent un véritable engouement au sein de la capitale française. Du Grand Palais Immersif au Centre Culturel Coréen, plusieurs institutions optent pour un focus sur une scène bouillonnante, connectée depuis déjà plusieurs décennies à la grammaire des réalités virtuelles et augmentées.

Depuis quelques années, la Corée du Sud s’affiche à Paris aux couleurs du numérique, et ce de manière remarquable. En 2021, le siège parisien de l’Unesco accueillait Korea Cubically Imagined, une exposition mêlant redécouverte de la no3on d’espace et des jeux de lumières chamarrées grâce à la réalité virtuelle et le mapping vidéo. En 2023, le Centre Culturel Coréen proposait une réflexion sur l’art NFT à travers Busan à l’heure de l’intelligence artificielle. Aujourd’hui, c’est au tour du Grand Palais Immersif de mettre en lumière onze artistes, célèbres ou émergents, au sein de l’exposition Decoding Korea. Cette récurrence n’a rien d’un hasard, elle est la juste réponse à une scène curieuse, fourmillante, qui ne cesse d’innover.

Des spectatrices face à un mur d'écrans représentant une vague.
Wave, 2021, exposition Korea Cubically Imagined @d’strict

Pays pionnier

Sur le plan politique, la Corée du Sud a traversé le XXe siècle comme une montagne russe, avec ses tragédies et ses gloires, ses souffrances et ses guérisons, ses famines et ses périodes de prospérité. En moins d’un siècle, le pays est passé d’une colonisation japonaise durable à une indépendance florissante, en passant par la Guerre de Corée, une scission, une industrialisation galopante, une démocratisation et une émergence culturelle fascinante, faisant de Séoul l’un des pôles d’attraction les plus excitant de la planète à l’heure actuelle.

Tous ces évènements, marquants et fondateurs, ont évidemment nourri les artistes, dont Nam June Paik (Séoul 1932 – Miami 2006), considéré à juste titre comme le pionnier de l’art vidéo. En 1962, l’artiste transdisciplinaire et futur modèle de Bill Viola s’immisce dans le mouvement Fluxus, qui mélangeait musique, performance, art plastique et écriture. Après quelques expérimentations en tout genre, il marque l’histoire en 1963, au moment précis où il présente à la galerie Parnass, à Wuppertal en Allemagne, l’Exposition de musique et de télévision : une installation constituée de treize téléviseurs posés sur le sol, dont les images sont parasitées par des générateurs de fréquence. Ainsi, elles ne forment que des rayures et des stries, et font volontairement écho à la technique du langage indéterminé et variable employée par l’ami John Cage dans ses « pianos déréglés ». Aujourd’hui encore, cette installation iconique fait figure de première œuvre d’art vidéo au monde. 

Vue sur un camp de détention, avec des barbelés et des grilles.
Yeondoo Jung ©ArtPlace

Une imagerie toujours plus spectaculaire

Au fur et à mesure des années, la Corée du Sujd a continué de s’illustrer en matière d’innovation, se forgeant ainsi une légitimité sur la scène internationale. Plus récemment, en 2020, le géant du design graphique coréen d’strict faisait parler de lui dans le monde entier grâce à son œuvre spectaculaire et désormais culte Wave : une vague en perpétuel mouvement enfermée dans un immense aquarium niché sur le toit d’un immeuble de Séoul, le tout grâce à une astuce numérique.

Troublante de réalisme, cette prouesse technique a permis à la Corée de se hisser au sommet de l’imagerie avant-gardiste, dont Hayoun Kwon se fait aujourd’hui l’incarnation. Active depuis une dizaine d’années, passée notamment par le Fresnoy et les Beaux-Arts de Nantes, celle qui présentera The Guardians Of Jade Moutain lors de la prochaine édition de Venice Immerisve justifie cette fascination particulière des coréens pour la technologie en raison de son passé historique : « Parce qu’il a fallu sans cesse tout recommencer, nous nous sommes adaptés aux nouvelles situations. Désormais, nous n’avons pas peur d’essayer de nouvelles choses. Cette aptitude singulière me semble être la raison pour laquelle nous nous sentons à l’aise avec l’art numérique qui nécessite de réaliser de nombreux tests régulièrement, et une adaptation constante aux nouvelles technologies. »

Au-delà de la prouesse technologique 

Commissaire de l’exposition Decoding Korea, Daehyung Lee affirme toutefois que le défi des artistes coréens, en 2024, n’est plus technologique : « Aujourd’hui, les artistes s’interrogent principalement sur notre manque d’empathie et nos difficultés à comprendre l’autre. À travers cette exposition, nous cherchons à revisiter la vision globale de Nam June Paik, et donc à souligner l’urgence d’une communication culturelle au-delà de la Corée, vers le monde entier ». On suppose alors que les artistes présentés ici ont été sélectionnés pour leur volonté significative de contribuer à un dialogue reliant le passé et l’avenir, en réfléchissant aux transformations culturelles et sociales qui définissent le parcours de la Corée. Daehyung Lee confirme : « Leurs œuvres témoignent non seulement des luttes et des triomphes passés de notre pays, mais aussi d’une créativité menant le monde à s’engager dans des échanges culturels globaux et dans une solidarité significative ».

Au-delà donc de la prouesse technique et de l’histoire de leur nation, les artistes coréens visent à se faire entendre au-delà de leurs frontières, sur la scène internationale, en traitant de thématiques universelles. En ce sens, les exemples ne manquent pas. En collaboration avec Google et la NASA, Yiyun Kang présentait à la COP 28, à Dubaï en 2023, une installation numérique immersive de grande ampleur qui visait à sensibiliser les dirigeants à la crise de l’eau douce, résultant du changement climatique. Quant à Gina Kim, elle profitait l’année dernière du dernier volet de sa trilogie VR (Comfortless) pour immerger le spectateur dans l’American Town, un bordel créé exclusivement pour la base aérienne américaine en Corée du Sud, en 1969, où près d’un demi-million de femmes ont été impliquées dans le « réconfort » des troupes américaines.

Vue 3D sur un bâtiment abandonné avec la nature qui reprend possession des lieux.
In The Gray, de Roomtone ©ArtPlace

Génération sans limites

De Yehwan Song, qui questionne via le code le caractère abusif et non-inclusif d’Internet, au crypo-art de Mr. Misang, des performances interactives de Jisoo Yoo aux animations 3D d’Ayoung Kim, en passant par les travaux de Yiyun Kan, Roomtone, Yeondoo Jun ou encore Yeom Ji Hye et Ram Han, un article ne suffit plus aujourd’hui pour parler d’une génération d’artistes avant-coureurs et pourtant accessibles, profondément connectés à leur culture et pourtant ouvertement tournés vers l’international. À croire que si la Corée du Sud se distinguait hier par ses innovations technologiques, aujourd’hui, elle se fait le porte-parole de l’humanité par le biais du numérique !

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