En studio avec 1024 Architecture : « Nous sommes des artistes de déformation »

En studio avec 1024 Architecture : "Nous sommes des artistes de déformation"
©Rodolphe Escher

En développant ses propres logiciels et en allant sans cesse plus loin dans ses recherches autour des croisements entre light art, musique et scénographie immersive, 1024 Architecture incarne ce qui se fait de mieux en France en termes d’installations lumineuses. Aujourd’hui, le collectif ouvre les portes de son studio, à Paris.

Trop instruit pour ignorer l’importance d’un lieu, voire même d’un point de ralliement, dans l’histoire de l’art, 1024 Architecture a profité des premiers jours de l’après confinement pour poser ses machines et logiciels dans une maison de campagne. Comme Warhol et sa clique avaient la Factory. Comme Bill Viola avait bâti un immense studio du côté de Los Angeles. Conscients des brassages multimédias audacieux qui ont émergé de ces prestigieuses écuries, les membres du collectif parisien ont souhaité un lieu qui ressemble à leur vision de l’art, à la croisée de l’architecture, de la scénographie, du développement technologique et des installations audiovisuelles. 

Ce bâtiment, les deux membres fondateurs de 1024 Architecture – François Wunschel, Pier Schneider – et leur acolyte Nico Merlin l’ont trouvé à 1h30 de Paris, en Bourgogne, où leurs proches collaborateurs – basés dans le Sud de la France, en Suisse ou à Bruxelles – les rejoignent deux fois par an pour des séminaires d’une semaine. « En gros, ça rigole, ça festoie et, surtout, ça crée, résume Pier Schneider. La maison est suffisamment grande pour accueillir une petite vingtaine de personnes, ce qui nous permet de faire l’ensemble de la production et du prototypage là-bas. On est au bord d’une immense prairie, donc on n’emmerde personne avec nos lasers. »

Des spectateurs dans l'obscurité face à un cube contenant une spirale de leds bleutés.
Volume, 1024 Architecture ©Anthony Dehez

Créer en autonomie

Malins, les Parisiens ont réalisé un documentaire autour de ce lieu. « Un truc un peu déglingo grâce auquel on comprend notre processus créatif et la manière dont on développe nos propres logiciels ». Cette vidéo est présentée à la fin de l’exposition PULSE, découverte par quelques chanceux à la Gaîté Lyrique, avant que l’institution parisienne (qui travaille actuellement à une date de réouverture) ne soit occupée pendant trois mois par 400 jeunes sans logement. À défaut de rencontrer l’équipe in situ, c’est donc au sein de ses bureaux parisiens que l’on débarque fin janvier : une maison de trois étages située au fond d’une cour paisible, dans le 11ème arrondissement, où tout semble dédier aux croquis, à la post-production et à la réflexion de nouveaux projets à développer.

Il faut dire que la démarche de 1024 Architecture n’a rien d’anodine. Dès ses débuts, en 2007, le collectif ressent le besoin de créer sa propre entreprise de visualisation architecturale afin de produire des images perspectives et des vidéos de présentation de projets (logiciels 3D, montage, retouches d’images, etc). Puis vient MadMapper, un logiciel co-développé avec la société Garage Cube, en Suisse. « À l’époque, rembobine Pier Schneider, il n’existait pas de logiciel pour faire du mapping ou projeter en même temps dans l’espace physique de la vidéo, du laser et de la led. Comme on rêvait de cet outil, on l’a fabriqué. C’était il y a quatorze ans. Aujourd’hui, on en est à la version 6. »

Un spectateur, dans le noir, face à une installation de leds formant un cube légèrement penché.
CORE, 1024 architecture @Felix Speller

À la manière de Pierre Soulages, qui fabriquait ses propres pinceaux, ou de Jackson Pollock, qui avait développé ses systèmes de dripping, 1024 Architecture a donc pris les devants en créant l’outil dont le collectif a besoin. Moins dans l’idée de défendre un propos politique que de répondre à ses attentes et de mettre en place un modèle économique suffisamment solide pour soutenir deux projets : la création d’installations audiovisuelles et le développement de MadMapper, commercialisé et rapidement détourné par d’autres artistes. « Aux États-Unis, par exemple, une artiste utilise le logiciel pour faire du mapping de cake de mariage. Clairement, on n’y aurait jamais pensé », confesse Pier Schneider, l’air heureux.

Un DJ posé au centre d'une croix formée par différents cubes lumineux.
Square Cube ©1024 Architecture/Yves Malenfer

La nuit leur appartient

Si Pier Schneider se réjouit d’un tel détournement de l’outil, c’est que ses comparses et lui ont toujours fonctionné ainsi. En 2007, ils trouvent dans le monde de la musique un moyen parfait pour expérimenter et apprendre à mieux structurer une scénographie. « On est tout simplement de cette génération qui a vu naître la culture électronique, rembobine-t-il. Peu après que l’on se soit rencontré sur les bancs de l’école d’archi, François et moi avons commencé à traîner dans les raves. Il nous fallait en être. C’était l’époque où l’électronique commençait à devenir centrale dans nos vies, de la musique à nos outils de création, en passant par les objets du quotidien. Puis, on a réalisé que les DJs et producteurs souffraient d’une carence scénique, il fallait donner un aspect visuel. Raison pour laquelle nos premiers shows étaient pensés en collaboration avec des musiciens ».

Vient alors le Square Cube, mis au point pour Étienne De Crécy : un cube scénique structurel pensé en support de vidéo projections calibrées en trompe-l’œil et diffusant des lumières stroboscopiques tout en étant synchronisées avec la musique de l’auteur de Super Discount. Vient ensuite les spectacles au Social Club, les expériences en festival, où ils apprennent la rigueur (« En Angleterre, c’est 10 000 euros la minute de retard, ça pousse à être carré ») et tout un tas d’autres collaborations. Avec Laurent Garnier, dans le cadre d’une installation à la Philharmonie de Paris (Core) où la présence de la légende du DJing français est incarnée par des lumières génératives. Mais aussi avec Vitalic, dans le cadre d’un jeu vidéo (Puppet), où les mouvements de l’avatar sont en synesthésie avec la bande-son composée par le français.

Sur la place d'une ville de Norvège, une installation lumineuse projète des leds vers le ciel.
Beacon Of Light, 1024 Architecture, 2025 ©1024 Architecture/Tijani

Une recherche constante

Lorsqu’on les rencontre, ces architectes de formation, et « artistes de déformation », reviennent tout juste du Glød Festival, en Norvège, où ils ont présenté Beacon Of Light, une installation laser conséquente, avec des faisceaux qui s’étirent sur plus de quatre kilomètres. « Dans le cadre d’un spectacle extérieur, pensé pour le grand public, on ne va pas se mentir : les lasers permettent d’avoir une puissance de feu phénoménale ! ».

Malgré l’accumulation de projets, Pier, François et Nico ne portent sur leur visage aucune séquelle des nombreux allers-retours qui semblent dicter leurs journées. Peut-être est-ce parce qu’ils sont tous papa, et qu’ils tendent tous à être en phase avec le rythme scolaire. Peut-être aussi qu’ils ont appris à se répartir les missions avec efficacité : quand François s’occupe essentiellement de la programmation visuelle, Pier prend en charge la production et Nico gère la création sonore et le montage. Tout, ici, est parfaitement rodé, avec juste ce qu’il faut de documents en vrac et d’amoncellement d’appareils technologiques pour rappeler où on est : dans le bordel archi-vivant et agité de ceux qui, depuis qu’ils sont entrés dans l’art numérique comme on entre dans une religion, ont continuellement refuser de stagner, de solder leur amour de l’expérimentation.

  • En attendant la réouverture de la Gaîté Lyrique, le travail de 1024 Architecture est présenté au sein de l’exposition Into The Light, jusqu’au 31.08.25, Grande Halle de la Villette, Paris.
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