En studio avec Andrea Albrizio : « Le vêtement digital ne supplantera jamais le physique »

En studio avec Andrea Albrizio : "Le vêtement digital ne supplantera jamais le physique"
Portrait d'Andrea Albrizio

À 22 ans, Andrea Albrizio est ce que l’on peut appeler un prodige. Diplômé de l’Institut Français de la Mode, le Français ne cesse depuis cinq ans de secouer les podiums des Fashion Week avec ses projets digitaux, son utilisation subtile de la réalité augmentée et sa propre marque, Arntreal, où le stylisme est perfusé aux codes du jeu vidéo. Rencontre dans son studio, à Paris.

Fasciné par Icare, qu’il a tatoué sur son corps, Andrea Albrizio a pris son envol très tôt, à l’âge de 17 ans, vers l’univers redoutable de la mode. Mais pour ne pas se brûler les ailes, à l’instar du héros mythologique, le créateur de la marque Arntreal s’est plongé dans la réalité augmentée afin d’imaginer une extension au vêtement. Pari réussi. Le prodige cartonne, mais a trouvé le temps de nous ouvrir les portes de son atelier de création, situé à La Caserne, dans ce lieu que l’on définit généralement comme l’incubateur d’une mode responsable !

Tout commence en 2020. Le jeune homme quitte son sud natal et monte à Paris, plein de fougue et certain d’augmenter ses chances au sein de la capitale. Pour atteindre ses objectifs, il pose ses valises et sa machine à coudre dans un petit appartement du 13e arrondissement, et se met au travail, en pleine période de confinement. Le monde est alors en pause. Sans doute est-ce une opportunité : cela permet en tout cas à Andrea Albrizio de développer sa première marque, dont les revenus servent à financer ses études à l’IFM (Institut Français de la Mode).

Mise en scène numérique d'un nouveau t-shirt dans un univers digital et fantastique.
©Andrea Albrizio
Mise en scène numérique d'un nouveau t-shirt dans un univers digital et fantastique.
©Andrea Albrizio

Des vêtements dotés d’une extension virtuelle

Trois ans plus tard, ses créations défilent de Paris à New York, en passant par la Chine. Cette ascension fulgurante, il la doit à son flair, à son audace et à l’IFM qui lui a accordé une confiance aveugle, en lui laissant notamment la possibilité de concevoir sa première collection augmentée, pensée comme une satire du vêtement dépourvu de sens. « J’ai surfé sur les concepts du dadaïsme et du surréalisme. Ayant été confrontés à la réalité des horreurs de la Première Guerre mondiale, les artistes issus de ces mouvements ont souhaité s’en affranchir, précise Andrea Albrizio. Ils ont alors innové en changeant les règles et en déformant le réel. Naturellement, je me suis demandé : “que feraient-ils aujourd’hui ?” »

Pour y répondre, il met au point des vêtements dotés d’extensions virtuelles, visibles sur les téléphones portables de tout un chacun, via un système de puces intégré au carton d’invitation de son défilé. La presse française est unanime. Quant au succès, il se poursuit à l’international, encourageant Andrea Albrizio à créer sa propre marque, Arntreal, et à installer ses ateliers à La Caserne, haut lieu de la mode responsable à Paris.

AndreaAlbrizio
« J’ai surfé sur les concepts du dadaïsme et du surréalisme. »

Cette véritable ancienne caserne de pompiers bâtie au XIXe siècle se présente en effet comme étant désormais le plus grand accélérateur de transition écologique et sociétale dédié à la filière mode et luxe en Europe. Dans cette arène, aux ambitions inspirantes, Andrea Albrizio est venu s’installer, certain d’y rencontrer de possibles collaborateurs. Ici, les échanges sont facilités par l’accès à tous les résidents à une cour centrale accueillante et un café-restaurant. Dans son bureau immaculé et à la déco minimaliste, ses employés se sont face. Une poignée, seulement, la plupart des autres travaillant à distance. Et pour cause : Andrea Albrizio et ses équipes façonnent à présent leurs vêtements et ses extensions par ordinateurs, même si quelques-uns sont exposés çà et là sur des cintres, à la manière d’un showroom.

Mise en scène numérique d'un t-shirt dans un univers digital et fantastique.
©Andrea Albrizio

Un game de vêtements

Pour donner de l’ampleur à Arntreal, le mieux est encore de s’entourer : « Dès le départ, j’ai compris que je devais déléguer la partie création numérique. Pour mon premier défilé, je me suis tourné vers ZERO10, une société spécialisée dans le domaine. Puis, j’ai embauché des talents, des stylistes et des designers 3D, aussi à l’aise avec les logiciels CLO 3D que Blender. Nous sommes désormais onze permanents et quelques freelances. Pour ma part, je gère, avec deux personnes, la partie développement et business. Désormais, au sein de mon équipe, je joue aussi le rôle de directeur artistique ».

AndreaAlbrizio
« Avec mon équipe, nous développons une mythologie, un présent et un futur d’Arntreal.  »

En clair, Andrea Albrizio est désormais à la tête d’une petite société, ambitieuse, éclectique, et veille encore et toujours à ce que le vêtement réel soit le plus attractif et séduisant possible. « Le vêtement digital ne supplantera jamais le physique, tout simplement parce qu’un vêtement, ça se porte ! Je me devais donc d’exceller dans les deux domaines, le réel et le virtuel, souligne-t-il. Quand j’ai commencé, certaines marques proposaient juste une vision numérique 3D du vêtement. J’ai voulu aller plus loin et m’adresser notamment aux gamers ».

Enfant harcelé à l’école par ses camarades, Andrea Albrizio trouvait refuge dans les livres et non dans les jeux vidéo. L’adulte a donc dû se documenter pour comprendre leurs écosystèmes et ce qui rend les gens si addicts. Une idée surgit alors : offrir aux clients de ses vêtements la possibilité de gagner étape par étape dix super-pouvoirs virtuels et des accessoires augmentés, comme des ailes, des fleurs, des épées, des dragons ou des petits monstres, qui constituent un lore global, soit tout un univers se déployant sur une planète imaginaire. « Avec Fajr, mon directeur de création 3D, Ismaël, Maël et Logan, nous développons une mythologie, un présent et un futur d’Arntreal. Mon rêve serait d’en faire un film. C’est le fantasme numéro un de toute l’équipe ».  

Dans un hangar, mise en scène numérique d'un nouveau pull entouré par des machines robotiques et des éléments puisés dans l'heroic fantasy.
©Andrea Albrizio

Vers un réseau global

Pour l’heure, Andrea Albrizio (175 000 followers sur Instagram) développe au maximum l’aspect communautaire du projet dans l’idée, pourquoi pas, de rivaliser avec les réseaux sociaux existants et dominants. Tout, à en croire le jeune entrepreneur, serait une question d’audace. Dans son application, il sera bientôt possible de partager des photos comme sur Instagram, de s’y faire des amis et de gagner ainsi encore plus de pouvoirs. Autre technique pour en cumuler davantage : marcher en Arntreal. D’ici peu, une carte permettra de visualiser ceux qui portent la marque alentour, et de créer des liens par centre d’intérêt. 

Une question survient alors : et si, pour Andrea Albrizio, le vêtement ne constituait finalement que la porte d’entrée d’un monde fantastique dont il serait le héros ? L’intéressé s’en amuse, et confesse réaliser actuellement son rêve de gamin : « Enfant, j’étais fan de Harry Potter et j’attendais le jour où Hagrid viendrait frapper à ma porte pour m’emmener, moi aussi, dans un monde magique ».

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