En studio avec Thomas Vanz : « Je suis à la recherche du code source »

En studio avec Thomas Vanz : « Je suis à la recherche du code source »

Montrer des choses dont on ne peut pas faire l’expérience directe, donner l’impression d’évoluer en apesanteur au cœur d’un monde mouvant : telle semble être la double ambition du réalisateur et compositeur Thomas Vanz, dont les œuvres immersives s’exposent à l’Anticipation Festival. Rencontre chez lui, à Paris.

Le rendez-vous est donné chez lui, à quelques pas du CENTQUATRE-Paris, dans ce 19ème arrondissement que Thomas Vanz a toujours plus ou moins connu. À 31 ans, le Français a vu le quartier changer, le Parc Éole devenir un havre de paix, avec ses chèvres et ses jardins bioéthiques. Depuis sa baie vitrée, c’est aussi une certaine image de la capitale que l’on devine, un Paris de carte postale avec, au loin, le Sacré Cœur toisant dignement la ville. L’appartement n’est pas très grand, mais il séduit de par son exposition, ses lumières chaudes en fin de journée, et permet surtout à Thomas Vanz de bénéficier de suffisamment d’espace pour installer son matériel informatique, photographique et sonore. Soit un ordinateur, des objectifs macroscopiques, ainsi qu’une guitare et un piano ouvert, désossé, comme pour mieux laisser apparaître ses entrailles.

Ici, rien n’est superflu, tout est mis au service d’un art total, nourrit de figures fractales et de musique sérielle, où composition sonore et création visuelle émergent d’un même esprit. Car, oui, Thomas Vanz ne crée pas d’images pour nos yeux, ni même ne compose de mélodies pour nos oreilles ; l’artiste est à la recherche d’un « état », immersif, mystérieux, comme le clair de lune ruisselant sur les champs.

Saeva ©Thomas Vanz

Man on the moon

La référence à l’astre lunaire n’est en aucun cas anecdotique lorsqu’il s’agit d’un artiste obnubilé par la thématique spatiale, dont on prend la mesure de l’obsession en observant les livres qui comblent sa bibliothèque. On y trouve certes les romans de science-fiction d’Alain Damasio ou de Frank Herbert (Dune, au sujet duquel il divague longuement), mais aussi le Grand atlas de l’astronomie. Heureux d’aborder le sujet, Thomas Vanz en profite pour sortir son « cahier de scientifique fou » : une sorte de journal intime au sein duquel il répertorie tout ce qu’il a pu lire sur le sujet. On y trouve des schémas, des dessins, des plans, des notes, tout ce qui lui permet de comprendre l’univers, de savoir comment on entre dans un trou noir, de réfléchir à la théorie du chaos, voire même d’approfondir la signification de ses rêves.

« Clairement, je mène une enquête sur ce qu’est l’univers, je suis à la recherche du code source, admet-il. D’où l’utilisation des technologies numériques, qui m’aident à représenter ce que j’imagine ». À l’évidence, Thomas Vanz est très assidu dès lors qu’il s’agit de répondre à cette grande question, qui obsède depuis toujours les spécialistes de la physique quantique. Il pourrait, c’est sûr, en discuter avec les principaux intéressés, mais voilà, Thomas Vanz est un artiste avant tout, animé par l’idée d’offrir une représentation visuelle à ses visions, persuadé qu’il y a quelque chose au-dessus de la physique quantique, sans toutefois savoir s’il s’agit d’une spiritualité ou d’un Dieu. « C’est aussi pour moi une manière de réaliser des projets autour de l’astrophysique, une excuse toute trouvée pour représenter l’espace . D’abord via une approche plastique, puis via la technologie numérique (3D, images de synthèse, etc.) afin de magnifier le côté authentique, tout en essayant de tendre vers un rendu qui soit le moins digital possible ».

Ouvrir les portes de la perception

À l’occasion de l’Anticipation Festival, Thomas Vanz se détourne quelque peu de sa thématique de prédilection le temps d’une œuvre, Saeva (« Fureur », en latin), chargée d’offrir une représentation microscopique de différents cataclysmes, comme le déluge, la lave, la sécheresse ou l’aridité. Le film dure à peine trois minutes et nécessite d’être regardé d’un point de vue différent, sous différents angles, afin de saisir au mieux les recherches de Thomas Vanz, son style, qui tient finalement plus des cut ups de William Burroughs ou du montage des films des années 1970 d’Alejandro Jodorowsky (Dune, encore et toujours !) que d’un art visuel figé dans ses certitudes. « Aux Arts déco, je sais qu’un prof a parlé de mon travail et m’a classé parmi une nouvelle génération d’artistes néo-psychédéliques », raconte-t-il, visiblement ravi.

L’inverse aurait été surprenant, tant le travail de Thomas Vanz semble puiser continuellement dans les rêves, le subconscient, voire même dans la recherche clinique sur les états de conscience modifiés. Souvent, ses œuvres sont d’ailleurs comparées à des scènes de 2001, l’Odyssée de l’espace, The Tree Of Life ou Oppenheimer, notamment les plus ouvertement perchées, si ce n’est abstraites. Parfois, on le contacte aussi dans ce sens, comme lorsque le musicien islandais Ólafur Arnalds, de retour d’un voyage au Pérou, lui demande de représenter un trip à l’ayahuasca pour les besoins du clip de « Woven Song ». Thomas Vanz est quoiqu’il arrive habitué à plonger dans ses visions les plus psychées, que ce soit pour mettre en images des odeurs en collaboration avec la marque de parfum Æther, réaliser la scénographie visuelle d’un défilé Dior, créer une œuvre immersive tournée dans un format à 270°pour l’Atelier des Lumières, ou mettre en scène un clip censé représenter la construction d’une émotion dans le cerveau selon les codes de l’astrophysique (« Hope » de Max Cooper).

Un studio-laboratoire

Depuis qu’il a quitté Ubisoft au mitan des années 2010, après s’être occupé des décors du jeu Just Dance, Thomas Vanz a donc multiplié les projets. Une juste récompense pour celui qui reconnait « d’évidentes lacunes en 3D », et qui a donc naturellement trouvé d’autres manières de donner une forme visuelle à ses recherches en sciences et en astrophysique. « Pour cela, j’ai notamment pensé à verser de l’encre dans de l’eau en partant du principe que l’encre serait le gaz nébuleux et l’eau, le vide, l’espace ».

Aujourd’hui, son atelier-appartement ressemble donc moins au studio d’un artiste qu’à un laboratoire où traîneraient des seringues, des pipettes, des masques Ffp2 et même de l’alun, dont il se sert pour ses expérimentations en macrophotographie, notamment dans l’idée de réaliser des cristaux. On l’aura compris : Thomas Vanz est de ces artistes jusqu’au-boutistes, investis corps et âme dans la conception de leurs œuvres. Ultime exemple ? Après s’être fait tatouer les nombres Pi et Phi, le Parisien nous montre son dernier, « 1/137 », du nom de cette valeur associée à la constante de structure fine, celle-là même qui rend fou les physiciens et détermine la force de l’interaction électromagnétique entre la lumière et les particules élémentaires chargées.

Saeva ©Thomas Vanz

Dominer le chaos

Sans véritable surprise, Thomas Vanz a donc nommé ainsi son prochain film, 1/137, qu’il présentera au Cube Garges début 2025, dans le cadre de l’exposition Sous le même ciel ?. Encore et toujours, il y a ces plans filmés, non pas comme des produits finis, mais comme des couches intégrées en mode patchwork dans After Effects. Encore et toujours, il y a ce procédé très complexe, consistant à « dominer le chaos » et à se montrer le plus méticuleux possible pour parvenir au résultat souhaité. « Cela nécessite beaucoup d’itérations, avec finalement un taux de réussite assez faible, dans le sens où il me faut environ un an et demi pour réaliser un film de trois ou quatre minutes, mais ce processus me paraît nécessaire pour comprendre l’univers et le représenter tel que je l’imagine ».

Bien sûr, un physicien spécialisé pourrait sans doute apporter des réponses à la plupart de ses questions, mais Thomas Vanz a la conviction qu’il y a « quelque chose de nettement plus spirituel derrière tout ça. » Voilà pourquoi il passe autant de temps à lire ou à observer la nature, dans l’idée d’être le plus proche possible de ce qu’il voit tout « en favorisant l’abstraction des images ». L’objectif, conclut-il, n’est « pas simplement de rechercher le beau, mais bien de questionner ce que l’on regarde ». En tête, cette conviction : représenter un univers encore inconnu, c’est déjà apprendre à le connaître.

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