Encoder l’espace, l’expo qui regarde vers l’infini et l’au-delà 

Encoder l’espace, l'expo qui regarde vers l'infini et l'au-delà 
“Éphéméride”, 2021 ©Romain Sein

Le Centre des Arts d’Enghien-les-Bains explore l’espace sous le prisme d’artistes ayant nourri leurs œuvres d’archives issues du Centre national d’études spatiales ou de collaborations rares avec des scientifiques, en toute liberté et sans soucis de réalisme. En résulte un voyage fascinant et poétique. Son nom ? Encoder l’espace.

Coproduction du Centre des Arts d’Enghien-les-Bains et de l’Observatoire de l’Espace du CNES, l’exposition Encoder l’espace entend donner la parole « aux artistes qui ne visent pas à faire de médiation, mais, qui au contraire, vont trouver leur propre chemin, différent de celui des scientifiques et souvent imprévisible pour eux ». À en croire Gérard Azoulay, commissaire et responsable de l’Observatoire de l’Espace du CNES, un même leitmotiv semble avoir guider la conception de l’évènement : « L’espace n’est pas l’apanage des scientifiques. »

Le parcours de l’exposition permet ainsi d’assister à une rencontre exceptionnelle entre l’art contemporain et la science spatiale, et offre donc à voir l’espace à travers l’œil de neuf artistes qui n’ont pas forcément une attache particulière avec le monde scientifique : Renaud Auguste-Dormeuil, Antoine Belot, Bertrand Dezoteux, Justine Emard, Véronique Béland, Eduardo Kac ou encore Olivier Perriquet, dont les œuvres présentées ici (vidéos, installations, créations robotiques ou basées sur l’IA) proviennent de la collection de l’Observatoire de l’Espace du CNES, déposée aux Abattoirs, Musée – Frac Occitanie Toulouse.

Au CDA, ces dernières sont présentées en écho à des instruments techniques et à de réelles archives spatiales, précisément dans l’idée d’accentuer cette correspondance entre l’art et la science, conscient que ces échanges permettent d’explorer de nouvelles perspectives sur l’univers, à la fois récréatives et poétiques ! « L’idée n’était pas de proposer une vulgarisation de documents scientifiques, mais plutôt de solliciter chez le visiteur des sensations et des émotions », ajoute Gérard Azoulay. En ce sens, c’est réussi !

À la conquête de l’espace ! , 2017 ©Erwan Venn

La Terre comme point de départ

Assez pointu, le parcours est chapitré en trois parties : Les traces de l’espace sur TerreLes non-humains de l’espace et L’impesanteur. Au passage, un petit fascicule, ludique et richement documenté, apporte de nombreux éclaircissements sur les œuvres dévoilées qui auraient pu laisser de marbre de prime abord. À commencer par celles présenter au rez-de-chaussée, très clairement ancrées sur la planète bleue : en s’inspirant de données collectées par les scientifiques sur le cosmos depuis la Terre, les artistes y livrent une vision singulière de la conquête spatiale.

La plus parlante, signée Erwan Venn, est d’ailleurs bien nommée : À la conquête de l’espace ! (2017). Dans son installation vidéo, résolument graphique et évoquant un brin le travail de Gérard Fromanger, l’artiste plasticien aborde avec sensibilité et humour la formation des souvenirs sous l’influence de réminiscences culturelles et historiques. Pour y parvenir, le Français mêle des motifs de papier peint de sa chambre d’enfant, emblématiques des années 1970, à des films et des enregistrements sonores du lancement de la fusée Diamant, datant des sixties. Explorant à la fois les archives scientifiques du CNES et ses souvenirs personnels,  Erwan Venn restitue ici l’ambiance d’une époque marquée par les débuts de l’aventure spatiale. 

En sortie, le scientifique de l’espace : point sur la conception, 2023 ©Véronique Béland

Les non-humains, pionniers de la conquête spatiale

À l’étage, justement, la suite de l’exposition propose de franchir les limites de l’atmosphère terrestre et de partir à la conquête de l’espace, en entrant dans l’imaginaire d’artistes partageant à leur manière, et avec plus ou moins de fantaisie, leur fascination pour le cosmos. Évidemment, l’IA est du voyage. Pour créer En sortie, le scientifique de l’espace : point sur la conception (2023), Véronique Béland a par exemple nourri une intelligence artificielle à partir de plans d’archives d’engins spatiaux pour qu’elle en imagine de nouveaux et en souligne le caractère organique. Le résultat est étonnant, tant certains dessins, au premier abord, semblent issus de glossaires de végétaux. 

Justine Emard rend elle aussi hommage à la part non-humaine de la conquête spatiale, dans son film In Præsentia (2021), un must de l’exposition, que ce soit pour son message ou pour sa forme, volontiers contemplative. « C’est frappant, remarque-t-elle, les non-humains, machines et animaux, ont joué un rôle considérable dans cette aventure, mais restent aujourd’hui encore invisibilisés ». Afin de leur rendre justice, l’artiste française a dans un premier temps réalisé un montage à partir d’images d’archives de Martine, un macaque nemestrina femelle lancé à une altitude de 240 km par une fusée Vesta, en 1967. Puis, elle a confronté ces images à Jade, un macaque rhésus, afin de capter ses réactions.

In Præsentia ©Justine Emard

« Jade n’avait jamais vu d’images similaires, d’un singe dans une zone sans gravité, précise Justine Emard. Dans le film, il y a une image de Thomas Pesquet qui fait flotter une pierre dans l’ISS. Elle a particulièrement attiré son attention. Elle est venue la toucher sur l’écran, ce qui était très émouvant. J’ai donc décidé de réorienter mon montage en fonction de ses réactions, comme une mise en abyme du film originel. Ensuite, j’ai ajouté des images de lasers pour évoquer l’astromobile Perseverance envoyé sur Mars. Au moment où je réalisais cette vidéo, on en parlait beaucoup. Il était équipé d’une tête laser développée par le CNES. » Quant au son du film, il provient lui aussi d’enregistrements de tremblements de Mars, capté à cette époque. De là à parler d’In Præsentia  comme d’une œuvre totale ? Disons plutôt qu’il s’agit ici d’une expérience poétique et esthétique, révélant une dimension méconnue de la conquête spatiale, certes non-humaine, mais essentielle.

Télescope intérieur, 2017 ©Eduardo Kac

En apesanteur

Le parcours se termine en apesanteur. On y retrouve Thomas Pesquet, dans Télescope intérieur (2017), une vidéo méditative d’Eduardo Kac où l’on observe l’astronaute français donner vie, selon le protocole de l’artiste, à une sculpture en papier représentant le mot « MOI ». Réalisée à bord l’ISS, où elle continue d’évoluer, en apesanteur, cette sculpture y trouve sa pleine mesure, et nous renvoie à nos conditions de vie sur Terre. C’est d’ailleurs toute l’ambition d‘Encoder l’espace, qui ne vise pas à instaurer un dialogue constructif sur le plan scientifique entre chercheur et artiste, mais tend plutôt à offrir à ces derniers la possibilité de s’exprimer pleinement, à l’aide d’un soutien ou de documents mis à leur disposition. Un petit pas pour la science, donc, mais un grand pas pour l’art !

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