Pour son 25e anniversaire, l’édition 2024 de MUTEK Montréal mettait les petits plats dans les grands avec notamment la première mondiale du film-performance ENO du réalisateur Gary Hustwit. Ce documentaire génératif, consacré à l’artiste Brian Eno, présente des scènes, un ordre et une bande sonore différents à chaque projection. Et pose une question : cette expérience met-elle en lumière les évolutions à venir au sein de l’industrie cinématographique ?
« En 2017, j’avais envisagé de réaliser un film sur la vie de Brian Eno, mais il avait décliné, jugeant que les documentaires musicaux manquaient souvent de profondeur, confie le réalisateur Gary Hustwit à l’issue de la performance live en août dernier à MUTEK. Je me suis alors dit que si l’exhaustivité était impossible, autant échouer de manière originale. J’ai donc proposé l’idée d’un film génératif, et il a immédiatement accepté ». L’expérience d’un film unique à chaque projection a donc séduit l’artiste anglais Brian Eno (Roxy Music, les albums avec John Cale ou Jon Hopkins…), arrangeur et producteur de légende (David Bowie, U2, Talking Heads, Laurie Anderson…), considéré par de nombreux observateurs comme l’une des figures les plus novatrices de la musique ambient. Les qualités génératives et infiniment itératives du film résonnent d’ailleurs parfaitement avec la démarche créative de Brian Eno, qui utilise la technologie pour composer et s’inspire de processus évolutifs.
Un film génératif à l’infini
Concrètement, ENO propose une expérience unique à chaque performance live, présentant des scènes, un ordre narratif et une bande sonore distincts à chaque projection. « C’est un film performatif qui donne aux spectateurs l’impression d’être spécial parce que vous êtes les seuls au monde à voir cette version », décrit Gary Hustwit. Pour cela, le cinéaste s’appuie sur un logiciel, développé avec Brendan Dawes, qui permet de séquencer les scènes et de créer des transitions à partir d’entrevues originales. « Brian Eno nous a confié 500 heures de séquences vidéo, et nous avons réalisé une cinquantaine d’heures d’interviews supplémentaires au cours des deux dernières années », explique Gary Hustwit.
Dans la version présentée à MUTEK, on découvre un Brian Eno à la fois drôle et philosophe, partageant ses sources d’inspiration les plus intimes. On le voit tantôt feuilletant de vieux carnets de notes remplis de citations, de paroles de chansons ou de dessins d’enfance de sa fille, tantôt en studio, lors de l’enregistrement du mythique « Sunday Bloody Sunday » interprété par Bono et sa bande.
Une idée à développer pour l’industrie cinématographique ?
Les transitions entre les séquences sont si fluides que le véritable tour de force d’ENO réside dans sa capacité à nous faire oublier qu’il s’agit là d’un film génératif. Mais cette expérience pourrait-elle se généraliser à d’autres films ? « Comment diffuser un film génératif comme ENO ? Aucune plateforme de streaming n’a, pour l’instant, cette capacité technologique. C’est pourquoi le format live est probablement le plus adapté, analyse Gary Hustwit, tout en imaginant ce qui pourrait advenir lors des décennies à venir. Je pense que les films génératifs deviendront courants. C’est amusant d’imaginer la réaction de nos petits-enfants qui s’étonneront peut-être : “Quoi ? Vous regardiez des films qui ne changeaient jamais ?” ». À en croire Gary Hustwit, les technologies basées sur l’intelligence artificielle pourraient elles aussi accélérer l’émergence des films génératifs : « L’IA générative sera intéressante, non pas pour produire des films à moindre coût ou plus rapidement, mais aussi pour explorer le potentiel narratif ».
D’autres événements phares lors de MUTEK 2024
Les questions sur l’avenir des industries culturelles et créatives ont également largement été débattues lors de MUTEK Forum qui invitait près de 90 experts de l’intelligence artificielle, de la XR, de la musique et du gaming. Enfin, notons la présence au sein du parcours d’une vingtaine d’installations, à commencer par les remarquables travaux de Sabrina Ratté (Inflorescences), Martin Messier (Cycles), déjà bien identifiés par nos services, mais aussi de Nora Gibson (Transplant), dont l’approche immersive entend questionner les intersections entre l’identité et l’expérience consciente. Quant à MUTEK, l’équipe organisatrice a déjà annoncé ses dates pour 2025 avec une promesse : « Dessiner ensemble les lendemains de la création numérique et de la musique électronique ». Le rendez-vous est pris !