Faites de l’image 2025 : sans filtre, mais avec éclats

24 juillet 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Faites de l’image 2025 : sans filtre, mais avec éclats
“Lanternes animées”, de Christophe Jacquemart, Faites de l'image, 2025 ©Kinokine

Les 5 et 6 juillet derniers, Fisheye Immersive a exploré la 24e édition du festival Faites de l’image, organisé par les Vidéophages sur les rives du bassin des Filtres à Toulouse. Deux jours de découvertes, d’installations lumineuses et d’expérimentations artistiques en plein air autour d’un thème nécessaire : « sans filtre ». Un rendez-vous poétique et engagé où l’humain prime à tous les égards.

Depuis 2002, Faites de l’image profite de l’arrivée de l’été pour investir un nouveau coin de Toulouse. Cette année, c’est le Bassin des Filtres – classé en partie au patrimoine historique – du quartier des Amidonniers, qui a accueilli les 28 installations du festival. Le lieu, baigné de soleil le jour et de reflets au crépuscule, s’est prêté avec grâce à cette déambulation hors des sentiers battus. Créé par Les Vidéophages, le festival célèbre la création autour de l’image, sous toutes ses formes. « À l’origine, j’ai créé cette association avec un copain pour diffuser des courts-métrages avec des VHS, se remémore Christophe Jacquemart, fondateur des Vidéophages. Puis, nous avions pour idée de faire notre dernier rendez-vous mensuel en plein air ; de là est né le ciné-guinguette. Au fil des années, le projet s’est enrichi et des installations sont venues compléter le projet de plein air ».

Ciné-concerts, ateliers, œuvres interactives, installations lumineuses, projections… La richesse de la programmation n’a rien à envier aux grands festivals. Depuis ses débuts, Faites de l’image cultive une singularité précieuse : faire de l’image un médium accessible, inclusif et rempli de surprises. L’entrée est à prix libre, la démarche écologique, l’énergie collective plus que palpable. « C’est un festival qui se veut humain et respectueux des lieux où il s’implante », souligne Jean-François Manneville, chargé de communication de l’association. « On a obtenu le niveau 2/3 du label Détonant pour les festivals écoresponsables. On utilise beaucoup de matériaux de récupération, et il n’y a aucune démonstration qui saborde la nature. » À la tombée de la nuit, l’atmosphère change. Les lanternes s’allument, les œuvres prennent vie, et la balade devient magique. Loin de l’agitation ou de l’élitisme de certains festivals, Faites de l’image parvient à créer un véritable espace de respiration et d’émerveillement – la découverte du lieu, telle une balade poétique, sans aucune pression, prend aussitôt les traits d’un véritable coup de cœur. Et c’est sans doute dans cette parenthèse suspendue que l’événement puise tout son charme.

Dans la nuit, une installation fait apparaître les ombres lumineuses des spectateurs.
Briser les filtres, Faites de l’image, 2025 ©Gérard Pourpe

Une scène ouverte aux jeunes talents et à l’expérimentation

Loin de se contenter de présenter des œuvres achevées, le festival agit comme un incubateur. Chaque édition s’appuie sur un appel à projets et encourage la jeune création locale. C’est le cas par exemple de l’installation Briser les filtres, conçue par les étudiants de Master 2 à l’ISCID sous la houlette de Flore Siesling du Studio Dichro. Dans une structure dont la forme évoque celle d’un smartphone, des silhouettes se succèdent, créant un jeu de perspectives troublant. Transparence et opacité s’alternent comme autant de filtres à franchir. La lumière rouge, oppressante, intensifie cette atmosphère d’enfermement. Les spectateurs sont alors invités à se projeter dans ces figures anonymes, comme un reflet de leur propre image piégée dans l’écran. « Il y a eu une difficulté pédagogique à les emmener vers une cohérence commune, mais le résultat est très proche du projet initial. Ils sont fiers et moi aussi. C’est une œuvre libératrice pour cette génération enfermée dans les usages numériques », explique Flore Siesling.

Avec Végétat.ion, Sébastien Boudit et François Drolet imaginent dans un autre registre une structure organique, à mi-chemin entre sculpture végétale et architecture lumineuse. Évoquant un arbre enraciné dans le courant du bassin, l’œuvre se dévoile lentement, au rythme du déplacement du public. Chaque pas déclenche un son, une lumière, comme si la matière elle-même répondait aux présences. Il faut apprivoiser l’installation, l’aborder avec curiosité et patience. Les deux artistes – l’un menuisier, l’autre créateur sonore – ont façonné une expérience sensorielle en résonance avec le site. « Ici, c’est un véritable laboratoire, on peut essayer sans trop de risques », confie François Drolet. La structure, faite de matériaux récupérés et détournés par Sébastien Boudit, s’ancre là encore dans une démarche artisanale autant qu’expérimentale.

Dans la nuit, une sculpture organique se tient au milieu d'un parc.
Végétat.ion, de Sébastien Boudit et François Drolet, Faites de l’image, 2025 ©Jean-François Manneville

Tik Tak, l’œuvre coup de cœur de cette nouvelle édition ?

Sous des feuillages, Tik Tak du collectif L’interrupteur interroge notre rapport au temps et aux écrans. Un mannequin, figé dans une posture familière, tête penchée, yeux rivés sur un téléphone, semble absorbé par un flux numérique incessant. Statufié par les branches qui l’enserrent, il devient un totem contemporain, mi-humain, mi-naturel, saturé de stimuli. Une diode nichée dans sa main projette une lumière syncopée, tandis qu’un flot sonore fait d’extraits de podcasts et de vidéos s’accélère jusqu’à l’étourdissement. Rythmée comme un compte à rebours, cette mise en scène renvoie autant au réseau social qu’à l’inexorable passage du temps. « Je suis très touché par l’avalanche du numérique, par le biais de mon ado, mais aussi parce que je m’y perds moi-même », confesse Lionel Bessières, architecte lumière.

Son complice William Desperques, rencontré lors d’un cours de théâtre d’improvisation, se définit comme un « touche-à-tout numérique ». Et précise : « J’ai commencé à scroller à 12 ans depuis mon ordi. » Pensée pour dialoguer avec son environnement naturel, l’œuvre offre aussi un espace d’observation et de pause depuis lequel les spectateurs peuvent s’asseoir face à cette figure, et, peut-être, s’y reconnaître. Entre dystopie et réflexion, Tik Tak capte une tension bien actuelle. Celle d’une génération engloutie par le flux, mais encore capable de s’arrêter pour regarder.

Tik Tak, de Lionel Bessières et William Desperques, Faites de l’image, 2025 ©Jean-François Manneville

Quand la lumière raconte des histoires

Faites de l’image est aussi une célébration de la lumière comme langage. À commencer par les lanternes animées de Christophe Jacquemart, suspendues entre les arbres. De simples boules chinoises deviennent ici les écrans sensibles de fragments de films Super 8, récupérés auprès de la Cinémathèque. Une reconnexion bienvenue au passé, loin de l’importante technicité souvent associée à l’art numérique. L’artiste Stéphane Masson, fidèle du festival depuis ses débuts, a quant à lui projeté sur un bâtiment son mythique poisson rouge prénommé Vanille, dans une boucle vidéo créée il y a plus de vingt ans. Stéphane tient au festival pour ses qualités humaines : « Ce que j’aime ici, c’est le rapport simple aux gens. On ne retrouve pas ça partout. »

Cette chaleur humaine, on la retrouve aussi chez Romain Bianchi et Noémie Capronnier, responsables de la mise en lumière générale. Ces deux techniciens du spectacle jouent avec les contraintes pour sublimer le site, toujours avec récupération et ingéniosité. Un vieux lustre à pampilles suspendu à un chêne côtoie une installation graphique de néons colorés qui sublime un pont… Des gestes simples, souvent bricolés, mais toujours justes et imaginatifs. « Tous les espaces sont des challenges, mais il y a une part artistique quand même importante », note Noémie. « Cette année, on a accordé les néons fluos à la charte couleur de l’affiche. » Romain ajoute : « On trouve notre plaisir dans l’illumination, mais il faut aussi penser au balisage, à la sécurité. »

Des boules chinoises sont accrochées dans les arbres.
Lanternes animées, de Christophe Jacquemart, Faites de l’image, 2025 ©Kinokine

Parmi les autres œuvres à ne pas manquer, Apparition des abysses d’Ulysse Navarro fascine le public depuis un petit ponton. Une créature aquatique fantomatique surgit puis disparaît. Non loin de là, Graphies Nocturnes, de Yann Le Roux et Delphine Jacquot, transforme le cours d’eau en surface sensible, où la lumière danse librement. Enfin, une œuvre ludique et engagée a beaucoup fait parler d’elle. L’installation autour d’une IA de Clément et Guillaume de l’association Synapses, où petits et grands tentent d’échapper à la reconnaissance faciale à l’aide d’accessoires. Lorsque l’IA abandonne, elle s’exclame : « Vous m’avez bien eue, je ne vous reconnais pas ». Le numérique devient un jeu, mais surtout un miroir.

À travers cette édition 2025, Faites de l’image confirme son rôle de terrain d’expérimentation, de découverte, et de lien. Dans une époque saturée d’images, ce festival propose une autre voie plus lente, plus proche, plus poétique. « L’ADN naturel de l’événement, c’est de faire découvrir des lieux un peu cachés », résume Jean-François Manneville. Faites de l’image, c’est comme faire jaillir la lumière là où on ne l’attend pas. Tant mieux si celle-ci permet aux artistes, jeunes, confirmés ou hybrides, de s’y refléter.

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