Présenté en avant-première en février dernier à San Francisco, THIRST, le nouveau live A/V de Franck Vigroux et Kurt d’Haeseleer inaugure ce 11 octobre, au CENTQUATRE-Paris, la nouvelle édition de la Biennale Némo. L’occasion pour le premier nommé, compositeur et metteur en scène, de détailler la manière dont il envisage ce type de performances, à la croisée des milieux électroacoustiques et des atmosphères visuelles de science-fiction.
THIRST a été pensé pour accompagner la soirée d’ouverture de la Biennale Némo. Te souviens-tu des premiers briefs ?
Franck Vigroux : Un tel spectacle nécessite évidemment un processus très long, qui a débuté il y a deux ou trois ans lorsque j’ai proposé à Kurt d’Haeseleer, un artiste vidéo belge avec qui je collabore depuis bientôt quinze ans, de faire un nouveau concert ensemble, tout en changeant l’habituelle scénographie de ce type de performance. Soit des musiciens sur le plateau et un écran placé derrière eux.
Kurt et moi, on travaille sur la multiprojection depuis très longtemps, avec cette idée de transparence et de créer des expériences transdimensionnelles. THIRST n’est donc pas nouveau sur le principe, mais on voulait ici faire un concert 3D, piloté par l’écriture musicale, avec des images qui seraient déclenchées par des sons. L’idée était de proposer autre chose qu’un concert avec un écran.
Travailler à deux est toujours un exercice particulier. Comment procédez-vous, Kurt et toi, au moment de penser vos spectacles ?
Franck Vigroux : Tout est fait à deux ! Ce qui est intéressant, c’est que lui et moi avons l’expérience du théâtre et de la dramaturgie, ce qui nous permet de ne pas être dans la démonstration d’images, mais de développer une vraie narration tout au long de la pièce musicale, construite comme un récit. Avec THIRST, on voulait jouer avec la symbolique des road movies et des road novels, tout en laissant à chacun la possibilité d’exprimer pleinement son univers. Kurt et moi, on travaille avant tout à partir de nos intuitions, selon un long processus d’écriture, mais le fait est que nos mondes matchent bien ensemble. Sur scène, cette fois, ça donne un spectacle avec trois projecteurs qui dialoguent entre eux, pilotés par Kurt depuis la régie, pendant que je joue sur scène.
Tu le disais : tes spectacles se fichent de la prouesse technologique. Comment parviens-tu à ne pas tomber dans ce piège ?
Franck Vigroux : Ce qui importe, c’est le ressenti, l’expérience et la force dramaturgique. Tout se passe en réalité comme si je préférais regarder ce qui se passe sous les technologies, penser à ce que tel ou tel outil peut provoquer comme émotion. Je me fiche du côté tech ou numérique. Ces derniers temps, je reviens d’ailleurs à des projets plus simples, qui s’éloignent des outils numériques. Au Mexique, par exemple, j’ai pensé une performance avec une danseuse qui ne s’appuie que sur un projecteur automatique et une musique très basique. Il n’y a que de la lumière, du son et un corps en mouvement : parfois, ça suffit amplement. Bien sûr, je ne m’interdis pas d’aller vers la VR un jour ou l’autre, mais pour l’heure, j’ai un peu la sensation d’avoir fait le tour des performances audiovisuelles.

Dans THIRST, la musique paraît très dense, très intense. Est-ce elle qui dicte les visuels ?
Franck Vigroux : C’est souvent le cas, en effet. Mais ce qui fonctionne, c’est ce dialogue qui s’installe entre ma musique et les visuels de Kurt, très intenses également, fascinants par leur faculté à transformer la réalité. La vérité, c’est qu’on n’a pas besoin de discuter longuement. Il fait ses images, je fais ma musique, et on sait que ça fonctionne.
Qu’est-ce qui t’intéresse dans cette intensité ?
Franck Vigroux : THIRST, c’est une expérience de quarante-cinq minutes, quelque chose que tu n’aurais pas si tu étais assis dans un cinéma ou si tu mettais un casque. C’est un concert, certes, mais c’est aussi un déploiement : une sorte de flux chaotique d’images, un côté excessif qui raconte et interroge ce que l’on vit aujourd’hui, une saturation de couleurs qui encourage l’émergence d’un univers hypnotique, et suffisamment mystérieux pour que chacun fasse son récit par lui-même.
THIRST s’inspire ouvertement du lexique des road movies. Est-ce une manière d’accentuer cette idée de « voyage sensoriel » tant recherché dans les performances audiovisuelles ?
Franck Vigroux : THIRST, c’est un vrai trip, mais je ne pense pas qu’on se soit posé cette question. On avait des idées, on les a suivies, en suivant uniquement nos méthodes de création. Le crédo, ça reste de créer du mystère, de susciter une forme de fascination, d’encourager chacun à s’oublier. Lors des premières représentations, en Amérique du Nord, bien souvent dans des théâtres, on a d’ailleurs pu voir que certains spectateurs restaient assis, tandis que d’autres finissaient par se lever et se mettaient à danser. C’est la preuve qu’il est possible de vivre cette expérience de manière physique.

D’un point de vue général, on sent que de plus en plus de festivals croisent les esthétiques électroniques et les performances audiovisuelles, créées à l’aide des nouvelles technologies. Est-ce que tu arrives à t’expliquer cette tendance ?
Franck Vigroux : Ça fait tellement longtemps que je fais ça que j’ai pu observer l’évolution de ce petit monde-là. Voir de plus en plus d’évènements s’intéresser à ce type de projets est évidemment une bonne nouvelle. Le seul point négatif, c’est qu’on voit désormais un grand nombre de performances un peu bancales, pas toujours au niveau de leurs teasers un peu catchy. De même, toutes les conditions ne sont pas toujours réunies pour travailler correctement…
C’est déjà un sacré défi de travailler l’image et le son, mais développer des projets de quarante-cinq minutes comme THIRST, ça demande un travail colossal. Ce n’est pas évident de voir des pièces fortes, il n’y a pas assez d’argent investi et, comme il n’y a pas vraiment d’économie, tout le monde n’a pas les moyens de s’y dédier à 100%. Par conséquent, on fait face à des performances qui ressemblent au VJing des années 2000, avec des images qui tiennent plus du décor que de la dramaturgie.
- Cette interview est en partie extraite du numéro 60 de notre newsletter éditoriale.
- Biennale Némo, du 11.10.25 au 11.01.26, CENTQUATRE-Paris, Maïf Social Club, Philarmonie, etc., Paris.