June Kim, l’universalité de l’art au bout du fil

14 janvier 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
June Kim, l'universalité de l'art au bout du fil
“Intersection” ©June Kim

Installée à Los Angeles, June Redthread, de son véritable nom June Kim, explore les relations humaines et construit des connexions invisibles à travers des œuvres physiques et numériques. À l’aide de son motif de prédilection, le fil rouge, l’artiste coréenne fusionne traditions et technologies afin de créer des installations qui flirtent avec les frontières de l’art contemporain.

Présentée en 2024 à la NFT Paris par Art Girls, June Kim, 37 ans, aime à se définir comme une tisseuse de liens. Son œuvre tire sa genèse d’une ancienne croyance asiatique : celle du « fil rouge invisible » qui relierait celles et ceux destinés à se rencontrer dans la vie. Ce symbole traverse toutes ses créations, qu’elles soient physiques ou digitales, et traduit sa grande obsession pour les relations humaines – et l’art dans son ensemble. Los Angeles, Paris, New York, Miami, Londres, Pékin, Tokyo, Séoul… Ses œuvres s’exposent dans le monde entier depuis plusieurs années. « Mes parents m’ont dit que j’étais née avec mon carnet de croquis entre les mains, resitue-t-elle. J’ai grandi avec et je dessinais toujours quelque chose. L’idée de devenir artiste me semblait alors naturelle ».

Issue d’une famille où les femmes étaient poètes, peintres ou écrivaines, June Kim ressent un devoir presque spirituel de donner une voix aux aspirations artistiques de ses ancêtres, souvent restées inexprimées. Cette transmission transgénérationnelle et cette vocation ne se limitent pas à l’art : l’artiste coréenne y voit une forme d’inconscient collectif qui guide son travail. « Créer est une mission », témoigne-t-elle. Et cette mission l’a menée à explorer des médiums variés – installations, sculptures, art numérique, intelligence artificielle, art 3D -, tout en restant fidèle à son fil conducteur : le Redthread.

Le long d'une côte sauvage et enneigée, un long drap de fil rouge numérique a été déposé.
Redthread ©June Kim

Pour elle, le fil rouge reflète bien plus qu’une croyance. Il est la métaphore des connexions humaines, du destin, et de la vie elle-même. Dans son interprétation, il est à la fois un vaisseau sanguin – source de vie – et un symbole culturel profond. Pour son travail, June Kim s’inspire ainsi autant des mythologies grecques, où les Moires tissent et coupent les fils du destin, que de la philosophie asiatique, où le rouge est une couleur sacrée désignant le feu dans les cinq éléments. « Chaque élément représente des significations et des matériaux différents. L’essence du feu est l’art », confesse celle qui voit dans cet élément une manière d’équilibrer sa propre existence.

Au sommet d'une montagne asiatique, entre deux arbres fins, un tissu de fil rouge se déploie et surplombe le lac.
Redthread ©June Kim

Une pratique hybride

Depuis ses débuts, en 2012, année où elle remporte un prix à Art Basel, l’art de June Kim se déploie dans une double dimension, physique et digitale, qu’elle décrit comme « phygitale ». Il faut dire que son parcours en tant que directrice artistique en motion design, étiré sur plus d’une décennie, lui a permis de maîtriser les outils numériques tout en poursuivant un travail plus artisanal de sculpture et d’installation. « Je crois que les humains sont heureux lorsqu’ils explorent tous leurs sens. En cela, l’art immersif est un art du futur vers lequel nous nous dirigeons », affirme-t-elle.

Mélanger l’art traditionnel à de nouvelles technologies lui permet ainsi d’offrir une expérience totale, où les spectateurs peuvent toucher, interagir et même se perdre dans l’œuvre. Cette association entre tangible et virtuel est aussi une réaction pragmatique, le Covid ayant renforcé son besoin de partager son travail au-delà des limites matérielles qui se présentaient à elle, notamment grâce aux NFTs et au métavers.

Une spectatrice floutée au premier plan interagit avec une instation de quatre tissus rouges au sein d'un white cube.
Amaurosis: Destitute of Vision, 2021 ©June Kim

Extension du champ créatif

Pionnière dans l’univers des NFTs en tant que femme artiste coréenne, June Kim s’est rapidement distinguée du paysage contemporain en fondant la NFT Asian Women, une communauté qui soutient et connecte les femmes artistes asiatiques dans le domaine du digital. Loin de se limiter à l’art, son travail porte donc une dimension sociale et culturelle forte :  celle de créer des écosystèmes où les humains et la technologie coexistent en harmonie, où il est possible d’élargir les possibilités de création et d’éducation.

Pour preuve, June Kim enseigne désormais la conception par intelligence artificielle à l’université Konkuk de Séoul, quand elle n’encourage pas tout simplement chaque spectateur, par l’intermédiaire du fil rouge de ses installations ou de la poésie de ses NFTs, à réfléchir à ses propres liens, à ses relations, et à la magie des rencontres. Une manière, à l’entendre, de créer des ponts entre le passé et l’avenir, entre tradition et innovation, mais aussi de rappeler un point essentiel : malgré les distances et les différences, nous sommes toutes et tous connectés par un même fil invisible.

À lire aussi
Les corps précaires de Yosra Mojtahedi
Portrait de Yosra Mojtahedi ©Marielsa Niels
Les corps précaires de Yosra Mojtahedi
Au Musée du Pavillon Vendôme, à Aix-en-Provence, l’artiste Yosra Mojtahedi présente jusqu’au 14 janvier ses « machines-humaines » et ses…
07 janvier 2025   •  
Écrit par Axel Fried
Qui es-tu Ayoung Kim, récente vainqueure du prix Ars Electronica ?
“Delivery Dancer’s Sphere” ©Ayoung Kim
Qui es-tu Ayoung Kim, récente vainqueure du prix Ars Electronica ?
Alors qu’une de ses œuvres est actuellement exposée au HEK de Zürich dans l’exposition Collective “Worldbuilding – l’art dans le…
27 juin 2023   •  
Écrit par Lila Meghraoua
En Corée du Sud, les artistes sont prêts à prendre les commandes de la scène numérique
Yeondoo Jung ©ArtPlace
En Corée du Sud, les artistes sont prêts à prendre les commandes de la scène numérique
Cet été, les artistes coréens, catégorie numérique, suscitent un véritable engouement au sein de la capitale française. Du Grand Palais…
02 août 2024   •  
Écrit par Benoit Gaboriaud
Explorez
Comment acheter et collectionner l’art numérique en 2025 ?
Comment acheter et collectionner l’art numérique en 2025 ?
En 2025, collectionner de l'art numérique ne relève plus d'un acte marginal ou d’une mode passagère. Grâce à des expert·es comme Fanny...
08 juillet 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Tabita Rezaire, rencontre avec l'artiste qui interroge les (des)astres
Tabita Rezaire
Tabita Rezaire, rencontre avec l’artiste qui interroge les (des)astres
Grande habituée de la Fondation Louis Vuitton, Tabita Rezaire y présente actuellement le film “Des/astres”, dernier volet d’une trilogie...
04 juillet 2025   •  
Écrit par Zoé Terouinard
Theo Triantafyllidis : "La technologie est un acteur au sein d'un écosystème"
Portrait de Theo Triantafyllidis ©The Knack Studio
Theo Triantafyllidis : « La technologie est un acteur au sein d’un écosystème »
Depuis sa présence lors de la première édition du Palais Augmenté, en 2021, on connaissait l'artiste grec pour sa capacité à étudier les...
02 juillet 2025   •  
Écrit par Maxime Delcourt
En studio avec Vivien Roubaud : «  Je me protégerai toujours derrière la poésie »
En studio avec Vivien Roubaud : «  Je me protégerai toujours derrière la poésie »
Des stalactites en culture, des nuages géants de barbe à papa ou des imprimantes rampantes, les œuvres de Vivien Roubaud intriguent...
01 juillet 2025   •  
Écrit par Adrien Cornelissen
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Soyez prêts : la Biennale Némo revient la tête pleine d'illusions !
“Flock Of” ©Bit.studio
Soyez prêts : la Biennale Némo revient la tête pleine d’illusions !
Aux confins du tangible et de l’évanescent, la Biennale Némo revient cet automne avec une promesse : faire vaciller les certitudes, non...
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Zoé Terouinard
À la Fondation Vasarely, Lucien Bitaux part à la recherche d’un temps ancestral
Vue de l'exposition "Désastre des astres" de Lucien Bitaux ©Fondation Vasarely
À la Fondation Vasarely, Lucien Bitaux part à la recherche d’un temps ancestral
Jusqu’au 12 octobre 2025, l’exposition « Désastre des astres » fait dialoguer chaos et géométrie, sous la houlette de Lucien Bitaux...
Il y a 8 heures   •  
Écrit par Zoé Terouinard
"Le Rayon extraordinaire", la belle exposition de Flavien Théry et Fred Murie
“Le rayon extraordinaire” ©Flavien Théry et Fred Murie
« Le Rayon extraordinaire », la belle exposition de Flavien Théry et Fred Murie
Jusqu'au 19 juillet, l’Espace Multimédia Gantner accueille onze créations hybrides du duo français, toutes animées par l'envie de...
09 juillet 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Le jour où le Centre Pompidou a consacré le Net.art
« Scrollbar composition », 2000 ©Jan Robert Leegte,
Le jour où le Centre Pompidou a consacré le Net.art
Ils n’étaient pas nombreux, ces artistes à faire de l’écran leur territoire. Longtemps relégués en marge des institutions, les pionniers...
09 juillet 2025   •  
Écrit par Zoé Terouinard