Ils n’étaient pas nombreux, ces artistes à faire de l’écran leur territoire. Longtemps relégués en marge des institutions, les pionniers du Net.art se heurtaient à une barrière invisible : celle qui séparait le musée de l’immatériel. Jusqu’au jour où le Centre Pompidou a ouvert la brèche.
Au printemps 2021, dans le creux d’une pandémie mondiale où les liens se tissent derrière les écrans, le Centre Pompidou décide d’embrasser cette nouvelle dynamique et présente Sans objet, une exposition d’un nouveau genre, exclusivement en ligne et accessible depuis n’importe où, sans ticket, sans mur, sans cartel. Un geste fort, discret, mais presque militant. Car oui : pour la première fois, le musée national d’art moderne embrasse le Net.art, non pas comme une curiosité périphérique, mais comme un langage artistique à part entière.

Abstraction et connexion
Commissaire de l’exposition, Philippe Bettinelli en trace les contours à la manière d’une cartographie fluide de l’abstraction numérique. Loin de la figuration habituelle, l’exposition explore les formes générées par algorithmes, les surfaces construites par le code, les vibrations nées des différents langages informatiques. Réunissant neuf artistes du Net art, de Juha van Ingen à Jan Robert Leegte, en passant par Claude Closky, l’ensemble rassemble des œuvres s’ouvrant dans une interface propre, souvent interactive, parfois déroutante. Les formes bougent, se recomposent, réagissent à nos gestes. Au coeur de cet expo 2.0, il n’y a pas de salle, pas de silence feutré, mais bien une expérience fragmentée, intime, à l’intérieur même de nos machines.

Faire de l’écran un espace d’exposition
L’exposition ne fait pas que montrer des œuvres en ligne, comme on scrollerait sur Instagram. Elle reconnaît surtout l’écran comme espace d’exposition légitime. Le web n’est plus une solution de repli, comme ce fut parfois le cas dans l’urgence des confinements, mais permet une véritable déclaration d’intention. Le titre sonne d’ailleurs à lui seul (Sans objet) comme un manifeste et affirme qu’il n’est plus nécessaire d’avoir un support tangible pour exister dans l’art contemporain. Le code devient médium. Un médium qui a du sens et qu’il s’agit aujourd’hui de développer afin d’en perpétuer l’existence.
Dans un monde saturé d’images, les œuvres interrogent plus qu’elles ne charment. Elles ralentissent le regard et parlent une langue souvent muette, faite de répétitions, de flux, de tensions formelles. Elles rejouent, chacune à leur manière, l’histoire de l’abstraction, mais en langage binaire. L’histoire retiendra probablement qu’il s’agit d’un site web de plus, ou que ce n’est dans une salle d’exposition que le Centre Pompidou a consacré le Net.art. Mais du côté des spécialistes, pas de doute : ce geste à la fois audacieux et inévitable rappelle que, si le musée est un lieu de mémoire, il se doit aussi d’être un laboratoire du présent. Et du futur.