Les 5 et 6 juillet dernier, les rencontres SVSN – spectacle vivant, scènes numériques – ont investi le Festival d’Avignon pour la quatrième année consécutive. À travers des ateliers, conférences, et showcases, l’évènement dédié aux professionnels des arts vivants se propulse comme un laboratoire de pensées essentielles à la bonne compréhension, et appréhension, de la culture numérique dans le spectacle vivant.
Dans les ruelles d’Avignon, comme chaque été, de nombreuses affiches de théâtre habillent les murs de la ville. Spectacles contemporains, vaudevilles… Les quelques milliers de représentations ravivent tant les passionnés que les néophytes. Créé en 1947, le Festival d’Avignon fait la part belle au théâtre sous toutes ses formes, et assiste en tant que spectateur privilégié à ses multiples évolutions. En plein essor, les arts numériques se sont, à leur tour, immiscés dans le spectacle vivant et ont totalement renouvelé la pratique même du théâtre. Dès lors, qu’attendre de cette hybridité ? Afin d’interroger la place grandissante de la culture technologique au sein du secteur, cinq acteurs de la région Sud – Dark Euphoria, Villa Créative, Le Grenier à Sel, Avignon Université, et la French Tech Grande Provence – se sont unis pour créer les rencontres SVSN (Spectacle Vivant, Scènes Numériques), dont la quatrième édition témoigne d’une ambition sans cesse renouvelée.
Artistes, metteurs en scène ou encore directeurs artistiques sont venus du monde entier pour assister à ces rencontres qui prennent leurs quartiers au Grenier à Sel, un lieu d’expérimentation et de diffusion. Le ton est rapidement donné par Mathieu Rozières, fondateur de l’agence de production Dark Euphoria, qui amorce cette première journée : « Aujourd’hui, le numérique est notre ennemi. Un jeune passe 30 ans de sa vie sur les écrans. Les gens ne se mélangent plus et restent chez eux. Et pourtant, le digital apporte une grammaire. Il permet le renouveau du spectacle vivant, mais de la société également. On pressent que cela peut changer les choses, il est important de se réunir, de parler de nos réussites et de nos échecs. » L’entraide et l’échange, voici ce qu’a été le leitmotiv de ces rencontres à la veille du second tour des législatives, perçu à juste titre comme une réelle menace pour le monde de la culture.
Des spectateurs 2.0
La question des publics dans les arts vivants reste omniprésente et continue à diviser. Alors que certains se persuadent qu’il s’agit de créations de niches réservées à un panel restreint d’experts en la matière, d’autres œuvrent pour les faire rayonner à travers les âges, les localisations et les classes sociales. Sans grande surprise, les arts numériques et immersifs sont touchés par cette même problématique. En liant ces deux formes de création, les institutions attirent-elles une nouvelle génération de spectateurs ? Comment s’y prendre quant à la médiation culturelle ? Pour Yannick Marzin, directeur de MA scène nationale – Pays de Montbéliard, la force n’est pas dans le renouvellement des publics, mais bien dans l’émergence de nouvelles écritures. « Le lien du numérique est dans l’ADN de cette maison », explique-t-il.
Depuis 2021, le directeur explore l’audio immersif au sein de son établissement. Loin des offres culturelles de grandes villes et capitales, Yannick Marzin a fait de MA la première scène labellisée à effectuer de la radio de création. Quant à Amandine De Cosas Fernandes, responsable de la communication à l’Opéra National de Nancy, elle partage le souhait de décloisonner les genres. En février 2024, le somptueux établissement a accueilli la création de Kevin Barz qui s’est emparé de l’oratorio de Haydn au défi des créationnistes. Connu pour son attrait des nouvelles technologies, le metteur en scène allemand a intégré un robot humanoïde sur les planches de l’opéra. Mais ce n’est pas tout, il a également mis au point un jumeau numérique du spectacle dans le métavers sur la plateforme Sansar. « On s’est demandé comment faire pour poursuivre la médiation dans le métavers. Un live sur Twich a été organisé et a réuni environ 170 personnes, ajoute-t-elle. Il y a une vraie prise de conscience de casser les codes de cet art qui peut sembler poussiéreux ».
Créer de l’inédit
En sortant de leurs zones de confort, ces établissements culturels attirent indéniablement un nouveau public, mais font face à un mur de taille : le financement. Et, il en est de même pour tous les studios de créations et compagnies de spectacles vivants. Une conférence consacrée aux opportunités France 2030 a permis de mettre en lumière différents dispositifs à ce sujet. Arnaud Roland, directeur adjoint du numérique au CNC qui alloue 36 millions de fonds à la création immersive, explique : « L’objectif est de créer, développer et déployer de nouvelles technologies immersives et de plateformisation du jeu vidéo adapté aux enjeux culturels. »
En témoigne la démonstration du projet LIFE qui a vu le jour grâce au soutien du programme France 2030. Entre danse et motion capture, LIFE, créé par l’Atelier Daruma et Dark Euphoria, propose une solution de restitution de mouvements en direct. Entre deux conférences, la chorégraphe et danseuse Irina Bashuk a réalisé un dialogue onirique entre son corps et son avatar virtuel qui réagissait avec une grande instantanéité à ses gestes. Elle confie : « Je suis très fascinée par la numérisation et la façon dont le corps peut être perçu dans le monde physique et dans le monde numérique. Cette combinaison est très intéressante à l’époque moderne, car nous vivons toutes et tous, je pense, au moins dans deux réalités. L’une d’entre elles est physique : nous sommes assis, nous pouvons nous toucher. Et de l’autre côté, vous pouvez me voir danser par le biais d’une vidéo. »
Des showcases immersifs
Ponctuant des échanges tout aussi intenses qu’enrichissants, les showcases ont permis d’assister à des projets mêlant art numérique et spectacle vivant qui, pour la plupart, sont encore en cours de création. Dans Remède à la Solastalgie, nous voici conviés à découvrir le jardin secret de Raphaël Gouisset. Le dispositif semble classique, le public se retrouve assis face à l’artiste qui est doté d’un casque VR. Au fond, est projeté le contenu de l’appareil. Puis, la poésie de l’instant s’emballe et, pendant une vingtaine de minutes, Raphaël Gousset, seul en scène, déambule dans un monde numérique et philosophique. « Éprouver de la solastalgie, c’est avoir cette impression que le paysage que l’on connait, celui sur lequel on s’est construit, nous tourne le dos et s’éloigne. Ne plus reconnaitre son environnement parce que celui-ci change trop rapidement », indique-t-il à la fin de la représentation. En se demandant s’il est permis de posséder un paysage, l’artiste remet en question notre rapport à la planète et à l’environnement qui façonne notre quotidien.
Dans Le White Out de la compagnie Le Clair Obscur, une tout autre forme d’immersion se présente. Ici, les spectateurs se retrouvent protagonistes d’une adaptation futuriste d’un thriller d’Alain Damasio. Le synopsis plante déjà le décor : « Et si l’on pouvait extraire des fluides de nos corps – sang, sueur, salive, larme – les souvenirs qu’ils portent ? Se les injecter, les boire même, pour éprouver les sensations des autres et les revivre comme si c’était les nôtres ? ». Après avoir été accueilli par des membres de l’association « Amnesy International », le public se retrouve mêlé à une sorte d’enquête et d’expérience scientifique terrifiante. Conséquence : Le White Out captive par son immersion étonnante où les diverses technologies utilisées apportent un réel bonus quant à l’expérience globale, forcément marquante.
Enfin, pour la première fois cette année, les rencontres SVSN ont organisé une conférence autour des technologies immersives au service de l’inclusion. Parmi elles, Sound X a particulièrement retenu notre attention. Après trois à quatre années de recherches et développement, l’équipe de Sound X a réussi à rendre le son tactile grâce à une IA. Conçu pour les personnes malentendantes, Sound X prend la forme d’un léger sac à dos. Une fois enfilée et l’IA activée, il permet à la personne de ressentir par des vibrations toutes les émotions sonores de son environnement. Dans la rue ou à un concert, ce sac à dos propose une véritable expérience émotionnelle. D’où cette envie de conclure avec les mots justes et vitaux de Clément Thibault, directeur des arts visuels et numériques au Cube Garges : « L’inclusivité et l’écoresponsabilité d’une création ne se réfléchissent pas à la fin, en dernière minute. Il faut y réfléchir dès le départ et ne pas présenter uniquement une expérience de contemplation. »