Et si les technologies immersives redonnaient du sens à la fête ?

Et si les technologies immersives redonnaient du sens à la fête ?
The DKNY x MVFW23, soirée de clôture

Que ce soit dans l’idée de se connecter avec les artistes, de revivre les soirées mythiques d’antan ou de limiter l’impact écologique des rassemblements festifs, l’époque invite à repenser notre façon de faire la fête. Dans cette idée, les technologies immersives – VJing, réalité virtuelle, Silent Disco, etc – apportent de nouvelles perspectives et peuvent permettre de révolutionner le clubbing de demain. Quitte à bouleverser notre rapport à l’autre ?

Des écrans cubiques s’installent autour de la scène. Au centre, un moniteur et deux artistes. Elio est musicien, Nicolas Camarty est motion designer, spécialisé en vidéomapping et VJ. On est alors en plein cœur de la Nuit des Bassins à Arras, et ce dernier a conçu une scénographie peu commune en lien avec DreamBoxAxis, une œuvre visuelle et sonore qui prend la forme ici d’une conversation audio-réactive, immersive et interactive entre le public et les artistes. « Je veux créer une sorte de proximité virtuelle, un environnement où le public et les artistes se retrouvent et créent du lien », confie Nicolas Camarty, visiblement attaché à repenser perpétuellement le milieu de la fête, dans lequel il évolue. Depuis quelque temps, l’artiste lillois accompagne ainsi des DJs, des musiciens et des fêtards dans un univers numérique et immersif qu’il a conçu de A à Z en quête d’expériences nocturnes inédites. Sa recette magique : une Kinect, qui lui sert de scanner 3D, ainsi que les gens déchaînés sur la piste de danse, transformés ici en nuages de points projetés en temps réel sur divers écrans. Puis, grâce à un dispositif qu’il a imaginé avec une manette de Xbox, Nicolas Camarty se déplace dans la foule. « J’avance, je recule, je peux faire toutes sortes de plans différents, changer la focale de la caméra virtuelle pour créer des mouvements. On a un peu l’impression que je me déplace avec un drone dans la pièce », explique-t-il.

Grâce à cette technologie immersive, le public devient en quelque sorte une œuvre d’art numérique en direct, tandis que l’espace virtuel et évolutif réagit en fonction du son qui est joué et des nombreux mouvements des corps en transe. « En se voyant dans la création visuelle, en reconnaissant les mouvements de son corps sur les écrans, on se sent acteur de la performance musicale. Chaque participant apporte sa touche unique à la soirée », soutient le VJ.

NicolasCamarty
« Travailler l’imaginaire du public, c’est important pour qu’il puisse ressentir de vraies émotions, et peut-être même créer de belles relations lors des soirées. »

À écouter Nicolas Camarty, cette approche permettrait aux gens qui font la fête de s’évader pour de vrai, de changer le réel, de s’impliquer encore plus dans l’événement. « Depuis que j’utilise ce système, j’ai remarqué que les personnes avaient l’air de vivre la soirée encore plus intensément » constate-t-il, un peu comme si les écrans prenaient ici la forme d’une fenêtre vers une dimension parallèle où il n’y a plus rien autour de soi, seulement les gens et la musique. « La musique est une échappatoire. Plus on vient baigner le public dans la création artistique, plus il va se laisser aller, plus il va partir dans son imaginaire. Et travailler l’imaginaire du public, c’est important pour qu’il puisse ressentir de vraies émotions, et peut-être même créer de belles relations lors des soirées », ajoute l’artiste, régulièrement abordé dans son box par quelques curieux désireux de savoir comment fonctionne le système, ou tout simplement intéressés par l’idée d’échanger avec lui. Pari réussi pour Nicolas Camarty, qui réfléchit déjà à de nouvelles installations immersives en milieu festif.

Un VJ derrière ses platines créant des visuels dans l'obscurité.
©Nicolas Camarty

Soirée en réalité virtuelle, faire la fête autrement ?

Les évolutions technologiques sont désormais telles qu’elles encouragent ces dernières années la création de portails numériques vers des fêtes organisées dans le métavers, qu’elles permettent à supposément tout le monde de rejoindre des raves ou des festivals à la programmation folle depuis le confort de sa chambre. Comment ? Tout simplement grâce à VRChat, une plateforme de mondes virtuels lancée en 2017 dans l’idée d’offrir la possibilité d’interagir ensemble sous la forme d’avatars dans des mondes 3D créés par les utilisateurs eux-mêmes. Dès 2018, on voit ainsi des boîtes de nuit émerger sur VRChat, avant que le phénomène ne prenne davantage d’ampleur suite aux restrictions liées à la pandémie de Covid-19, en 2020, qui avait retranché les raveurs dans les couffins de leur chambre à coucher. « C’est la communauté des raves américaines qui a initié les free-party en réalité virtuelle (VR) à cause du Covid », explique Morgan Klein, à l’origine de 6Freedom, une société de logiciel et de projet en réalité virtuelle, réalité mixte et réalité augmentée. Si Morgan Klein ne fait ni parti de la communauté de raveurs américains, ni ne s’aventure dans les boîtes de nuit de sa ville, iel participe tous les mois depuis 2021 à des soirées en réalité virtuelle via VRChat.

MorganKlein
« Les soirées en réalité virtuelle sont abordables, on peut se contenter des boissons que l’on a dans son réfrigérateur. On peut changer de soirée et de style de musique en un seul clic, et on peut s’arrêter quand on veut. »

Dans la peau de son avatar, depuis son appartement, en France, et en compagnie de ses amis aux quatre coins du monde, Morgan Klein déambule dans le Festival EFMP, une manifestation virtuelle dédiée aux musiques électroniques et étirée sur trois jours non-stop afin de célébrer conjointement la fête nationale américaine et la fête nationale canadienne. Tout, à l’entendre, semble converger vers une expérience immersive de qualité : « Les soirées en réalité virtuelle sont abordables, on peut se contenter des boissons que l’on a dans son réfrigérateur. On peut changer de soirée et de style de musique en un seul clic, et on peut s’arrêter quand on veut », raconte-t-iel, l’air convaincu.

Pourtant, malgré tous ces avantages, quelque chose manque. Si les technologies VR sont de plus en plus performantes dans la reconstitution des mouvements du corps, il demeure quelque chose qu’elles n’arrivent toujours pas à reproduire : les expressions faciales des participants. Or, pour Axel Barrois, DJ, développeur VR et directeur technique, la communication non-verbale issue des traits du visage est nécessaire si l’on souhaite créer du lien entre les danseurs et les artistes : « Quand je mixe, j’analyse beaucoup la foule, les sentiments qui se dégagent de leurs corps, de leurs sourires, de leurs yeux… Je capte quelque chose de palpable. C’est ma façon d’échanger avec eux, avoue le DJ. Or, en soirée VR, rien de cela n’existe. » Précisons toutefois que ce modèle de fête n’a peut-être tout simplement pas vocation à remplacer les soirées dans le monde réel. S’il existe, s’il fascine, c’est sans doute parce qu’il apporte d’autres expériences.

Une bande de fêtards dans un club virtuel.
Morgan Klein et ses amis lors d’une soirée sur VRChat ©Morgan Klein
Une artiste derrière ses platines lors d'une soirée virtuelle.
Artiste derrière les platines lors d’une soirée sur VRChat ©Morgan Klein

Îlots de liberté

La migration des soirées vers le monde virtuel n’est pas seulement le simple fait des confinements à répétition. Pour Axel Barrois, l’évolution de l’industrie de la fête est une raison à prendre en compte. « Aujourd’hui, en soirée ou en boîte de nuit, on vient pour une prestation, pour voir un artiste, et cela s’observe par le fait que l’on est placé en face du DJ. On est passé de participant de la fête à spectateur, se désole-t-il. Je pense que c’est pourquoi certaines communautés se sont retrouvées sur VRChat, dans l’idée de faire la fête autrement. Il serait peut-être bon de revenir à l’état d’esprit des free-party des années 1990, qui étaient de véritables bulles de liberté. » Avec VRChat, il est possible de (re)créer ces îlots de liberté dont beaucoup semblent nostalgiques, dans le sens où les fonctionnalités de la plateforme permettent aux utilisateurs de concevoir le design de chaque lieu de fête virtuelle d’un bout à l’autre, de l’entrepôt qui abritait autrefois la scène acid-house anglaise à l’architecture de club déjà existant, comme l’iconique Berghain à Berlin.

AxelBarrois
« Les fêtes en VR sont aussi valorisées pour leur caractère inclusif et leur atmosphère bienveillante, répondant à un besoin important au sein de la communauté LGBTQIA+ notamment. »

Outre le fait de se retrouver dans un lieu faisant écho à un passé pas si lointain, les soirées organisées dans le métavers sont surtout une manière de s’amuser avec des personnes qui ont les mêmes envies, les mêmes conceptions de la fête. « VRChat comble un vide pour ceux qui ne trouvent pas de soirées correspondant à leurs goûts musicaux proches de chez eux, souligne Axel Barrois. En créant des espaces virtuels dédiés, la plateforme permet de réunir des communautés d’intérêts autour de la musique. Les fêtes en VR sont aussi valorisées pour leur caractère inclusif et leur atmosphère bienveillante, répondant à un besoin important au sein de la communauté LGBTQIA+ notamment. »

C’est vrai que s’il y a bien quelque chose de possible dans les raves VR, c’est d’être entièrement soi-même, quitte à triturer son avatar pour expérimenter différents genres, revêtir différents styles. « Contrairement à l’entrée en boîte de nuit régie par des videurs, personne ne peut vous refuser l’entrée dans une fête VRChat sous prétexte que votre look ou votre identité n’est pas accepté, ajoute le DJ. Mais, les espaces VR sont limités, il n’est donc pas toujours facile d’accéder à certaines soirées très prisées », rectifie-t-il. Un point de vue partagé par Morgan Kein : « Je peux être entièrement moi, je peux changer d’avatar si ça me chante, sans que l’on me discrimine, et surtout, j’évite la drague lourde, qui n’est pas toujours la bienvenue. » La sécurité est un argument souvent avancé par les fêtards du métavers, alors que les violences sexistes et sexuelles se multiplient en milieux festifs. Selon la dernière enquête, datant de 2018, de l’association Consentis, qui milite pour « Pour une culture du consentement sexuel dans les festivals et boîtes de nuit », 60 % de femmes ont déjà été victimes de harcèlement ou d’agression sexuelle alors qu’elles faisaient la fête.

Une DJ performant dans un club investit par les arbres et des visuels psychédéliques en arrière-fond.
Honey Dijon, BODYHEAT ©Michael Hunter

Collé serré pour une énergie verte

Paradoxalement, le recours aux technologies immersives peut également être un moyen de faire la fête de manière plus écologique. Le rapport publié en 2021 par le collectif Clean Scene sonne l’alarme : « Les émissions de carbone émises par les 1 000 meilleurs DJ du monde équivalent à l’électricité de 20 000 foyers pendant un an, à l’alimentation de 8 000 festivals durant trois jours ou à la pression de 25 millions de disques ! » Une chose est véridique, les DJs internationaux prennent l’avion trop fréquemment. Se posent alors deux questions : quelles sont les alternatives ? Et, surtout, comment se sociabiliser autour de la musique tout en respectant l’environnement ? À en croire Axel Barrois, les festivals et les soirées en réalité virtuelle, ou les DJ sets en live sur Twitch, pourraient être la solution : « Je pense que l’écologie touche une corde un peu sensible chez certains artistes, et les nouvelles technologies leur permettraient de garder un lien avec leur public ou leur communauté en étant plus respectueux de la planète, et peut-être organiser des choses à petites échelles »

À Glasgow, le lieu artistique pluridisciplinaire SWG3, qui comprend une boîte de nuit, a pris les choses en main et a adressé la question environnementale directement entre ses murs et en son sol. David Townsend est géologue et fondateur de la société TownRock Energy – une entreprise qui a pour vocation d’étudier les ressources géothermiques afin de concevoir des projets qui éliminent les émissions carbones. David Townsend est aussi et surtout un grand amateur de musique, du genre à se rendre fréquemment au SWG3. « Un jour, j’ai rencontré Andrew, le propriétaire du club. Nous avons discuté de la consommation d’énergie du lieu, qui venait principalement du besoin de chauffage et de climatisation, raconte-t-il. De cette conversation m’est venue à l’esprit une idée : stocker la chaleur générée par les gens qui dansent dans le sol et l’utiliser pour chauffer ou refroidir l’espace. » De ses deux passions, naît le système BODYHEAT, qui opère actuellement dans la boîte de nuit.

DavidTownsend
« Quand les gens dansent en sachant qu’ils contribuent à une planète plus durable, cela crée une bonne ambiance sur la piste de danse. Forcément, ça améliore l’expérience. »

Si tous les participants aux soirées organisées à SWG3 ne sont pas forcément au courant qu’une telle technologie existe, la température agréable de la salle, malgré la sueur et l’extase des danseurs, met la puce à l’oreille. « Beaucoup de personnes sont enthousiastes, car le système évite l’utilisation de combustibles fossiles, affirme le géologue. Quand les gens dansent en sachant qu’ils contribuent à une planète plus durable, cela crée une bonne ambiance sur la piste de danse. Forcément, ça améliore l’expérience. » David Townsend continue d’aller faire la fête dans le club écossais. Il semblerait toutefois que son attention se porte désormais moins sur les performances musicales que sur les améliorations possibles de BODYHEAT. « Quelques déformations professionnelles », ajoute-t-il, un sourire au coin des lèvres. Aujourd’hui, l’objectif est de pouvoir proposer un système similaire pour des festivals en plein air, mais surtout de rassembler les acteurs du milieu festif autour de l’écologie pour des soirées sans empreinte carbone.

Vue extérieure du club SWG3 à Glasgow.
SWG3 © Michael Hunter

La fête, qu’elle soit agrémentée ou non de technologies immersives, reste un endroit précieux, un refuge pour des personnes en quête de moments de sociabilité et d’expression de soi. Néanmoins, la poursuite de nouvelles expériences visuelles, sonores ou interactives et plus écologiques place l’innovation technique au cœur des problématiques actuelles. Moins dans l’idée de repousser les frontières physiques ou de réaliser des prouesses artistiques que de créer des rassemblements irréductibles à toute forme de misogynie, de racisme ou de discrimination. Toujours plus belles visuellement, toujours plus plébiscitées par les artistes – rappelons que Honey Dijon, Travis Scott et Charli XCX ont donné des concerts dans le métavers, tandis que Danny L Harle, l’une des stars de l’hyperpop, avait créé une boîte de nuit virtuelle -, ces soirées ne demandent qu’à prendre davantage d’ampleur. À condition, bien sûr, que la fracture numérique mondiale ne s’amenuise, 2,6 milliards de personnes dans le monde étant encore privées d’Internet… L’universalisme prôné par ces fêtes d’un autre genre passe par là.

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