Au croisement du sublime industriel et du désastre technologique, Clone Repo Server Ruin agit comme un manifeste glitché déployé autour d’une tour de données corrompues. Objectif avoué : questionner la vraie nature du beau.
Dans cet ensemble d’installations numériques présenté à la galerie Nicoletti Contemporary, à Londres, l’artiste new-yorkais Chris Dorland confronte dans un même geste écran LED, bruits informatiques, peinture et drone scanné. L’idée ? Non pas représenter le digital, mais le faire saigner, le pousser jusque dans ses derniers retranchements. Ici, ce grand adepte de l’hyper-abstraction présente une version contemporaine de la ruine, qui ne serait plus faite de pierres, mais de serveurs, de flux dégradés et de reflets métalliques rongés par l’entropie. « L’erreur technique devient une rupture dans l’interface fluide – une brèche dans l’imaginaire. Mon travail vit de cette rupture. Je la considère comme une ruine laissée derrière elle, à la merci des espèces futures », confie-t-il à Right Click Save.
Organisé autour d’un monolithe LED central dont les boucles instables renvoient à un cloud computing sous assistance respiratoire, l’événement est avant tout sensoriel, encouragé par une musique pesante de Leon Louder, pensée comme un paysage sonore. « Lorsqu’il a envoyé l’audio final, son message disait : “C’est comme un lac de tristesse dû à un serveur mort. Un bain sonore de serveur mort.” J’ai su qu’il avait réussi avant même que j’appuie sur lecture », relate Chris Dorland au sujet de cette collaboration.
Qu’est-ce que le beau ?
Sur les murs de la galerie, les œuvres pulsent, vibrent, grésillent. À travers elles, l’artiste cartographie l’envers des architectures numériques, des data centers effondrés aux interfaces fantômes, en passant par les machines mourantes. Une esthétique de la panne qui n’agit pas comme une défaillance, mais plutôt comme vision dans laquelle chaque pixel qui saute, chaque image qui se brouille, ouvre une brèche dans l’illusion du contrôle. Un moyen aussi pour lui de parler de l’homme derrière l’outil, de cette entité narcissique bouffée par la culture du mieux, la culture de la mise en scène de soi, représentée par l’artiste lui-même : « Mon visage et mon corps sont présents dans l’œuvre. Sauf qu’il ne s’agit pas que de moi, mais de nous tous, détaille Chris Dorland, Cette œuvre est un monument à ce cycle. Une pierre tombale pour les technologies obsolètes et les égos surdimensionnés. »
À bas la haute définition
Là où la technologie promet une clarté absolue, tant dans les informations qu’elles véhiculent que dans le rendu esthétique, Chris Dorland fout tout en l’air. À bas la haute-définition, place à l’accident ! « Ces ruptures engendrent leur propre beauté étrange : de nouveaux types d’images, des topographies accidentelles ». Et si, le plus intéressant dans le numérique, c’était finalement le bug ? Et si ce désir de combiner les nouveaux médias et le savoir-faire ancestral était une manière d’amener une réponse définitive à une question vieille comme le monde : au fond, qu’est ce que le beau, le vrai ?