Imaginé par l’artiste parisienne Marine Bléhaut, le court-métrage se concentre sur séance de thérapie virtuelle entre un assistant psychiatrique IA et une patiente nommée Clara.
Il y a des films qui avancent comme des récits, d’autres qui se déploient comme des rêves fiévreux. Clara, la dernière création de Marine Bléhaut, parmi nos 15 révélations à suivre en 2025, appartient à cette seconde catégorie, ne serait-ce que parce qu’il crée un espace suspendu, une chambre d’écho où résonnent des bribes de mémoire, des silences, des gestes à peine esquissés. « Je pense que toute œuvre d’art est liée à la mémoire d’une manière ou d’une autre, confie l’artiste. Parce qu’elle est toujours contemporaine. »

Au-delà du souvenir
Ici, Clara est la patiente fictive d’un établissement psychiatrique. Elle souffre d’amnésie dissociative. Soit un oubli qui n’est pas un vide, mais une protection : les souvenirs existent ; ils demeurent simplement inaccessibles pour elle. Pour l’accompagner, un assistant thérapeutique basé sur l’IA engage un dialogue entre malade et soignant. « Ressentez-vous les lacunes dans votre esprit ? », demande la machine. L’écran se fait alors miroir d’une mémoire qui hésite, qui trébuche, qui reconstruit à chaque évocation son propre tissu fragile.
Soucieuse de nous immerger dans cette séance, Marine Bléhaut refuse de proposer une histoire close, figée sur le plan narratif. Clara, c’est une exploration ouverte dans l’esprit. On y devine des repas, des détails sur le vin, des sensations, si bien que des éclats du quotidien resurgissent constamment, sans cohérence apparente. « En faisant des recherches à ce sujet, j’ai trouvé des témoignages décrivant les mêmes symptômes, raconte la vidéaste. Les souvenirs semblent déplacés, “perdus dans le temps”, cachés de la conscience immédiate afin que l’individu puisse supporter ce qui serait autrement insupportable. Ce mécanisme de protection permet à une personne de continuer à fonctionner même lorsqu’elle est confrontée à des expériences traumatisantes. »
C’est précisément dans ces interstices que se loge le cœur du film : la reconstruction comme acte d’existence. Au-delà de l’intime, Clara interroge l’oubli collectif. Les familles, les communautés, les nations aussi choisissent parfois le silence, reléguant certains passés à l’ombre pour survivre, pour avancer. Dans ce geste, Marine Bléhaut relie mémoire individuelle et mémoire sociale, comme si l’amnésie de Clara n’était qu’un reflet démultiplié de nos propres refoulements.

Une technicité profondément humaine
Construit à partir d’images générées par Midjourney et Krea, Clara imite la cinématographie à main levée. Légères secousses, tremblements accidentels : tout concourt à produire une impression d’intimité, comme si la personne derrière la caméra retenait son souffle. Par peur de rompre cet espace de confidence, peut-être ? Ou par sensation d’être en trop et de ne pas vouloir se faire repérer dans cet espace presque sacré de la thérapie ?
Ce que l’on peut affirmer, néanmoins c’est à quel point Clara assume sa lenteur. Rien ne presse. Tout est suspendu, comme si patients, soignants, IA et spectateurs partageaient le même état d’attente. Sauf qu’ici, l’immobilité n’est jamais absence ; elle est résistance. Dans un monde où tout se vit en accéléré, elle incarne un refus de l’urgence, un espace où chaque fragment de mémoire peut trouver sa place. En cela, Clara n’est pas simplement beau, il est puissamment poétique !