Depuis 2016, le collectif MSCHF dénonce avec acuité les travers de nos sociétés contemporaines : ultra consommation, systèmes de surveillance ou formes de servitude volontaire… Portrait de ce collectif new-yorkais, star de l’art contemporain outre-Atlantique, dont les œuvres et performances jonglent en permanence entre ironie et controverse.
Les quelque 25 membres du collectif, majoritairement basés dans un garage à Brooklyn, cultivent un esprit d’équipe revendiqué. Cette team est à les entendre un « mélange éclectique, avec des antécédents dans les domaines de l’art, des logiciels, du marketing, de l’ingénierie des matériaux, de la production, du design, de la musique… ». Aussi divers soit-il, le collectif entend toutefois signer ses œuvres d’un unique nom : MSCHF ! Cinq lettres majuscules à prononcer « mischief », reflet de leur manifeste artistique.
« L’équipe entière, quelle que soit sa spécialité, propose des centaines, voire des milliers, d’idées. Ces idées sont organisées, éditées, mises en pratique et reprises. 99 % d’entre elles sont simplement abandonnées », s’amusent ces activistes d’un genre nouveau, attachés à l’idée de s’exprimer d’une même voix. Si leur mode de fonctionnement pourrait faire écho à une structure autogérée, il se distingue par une particularité notable : une dualité entre des œuvres grinçantes et des objets de design (tantôt absurdes, tantôt sujets au scandale) commercialisés sur leur e-shop. De quoi brouiller les lignes entre art, marketing et consommation, en poussant les spectateurs à questionner les logiques du système qu’ils habitent.

L’art du pastiche…
Cette radicalité s’incarne en premier lieu dans une grande parodie de l’ultra capitalisme. « En se faisant passer pour une entité corporative, MSCHF démantèle les structures dans lesquelles il évolue, remettant en question les notions traditionnelles de propriété, de valeur et d’autorité », affirme le collectif, dont les dernières œuvres, particulièrement évocatrices, se matérialisent via des sites web détournant les codes du marketing digital : Our Cow Angus (2024), un site aux couleurs pop acides où les internautes ont la possibilité de sauver Angus, une vache destinée à l’abattoir ; ou Redact a chat (2024), un chat dans lequel il n’est possible d’utiliser les mots qu’une fois par jour – un projet qui, d’office, incite les utilisateurs à mesurer leurs mots, à remettre en cause la fluidité et l’abondance de la communication contemporaine.
« En se faisant passer pour une entité corporative, MSCHF démantèle les structures dans lesquelles il évolue, remettant en question les notions traditionnelles de propriété, de valeur et d’autorité. »
Portées par une même ambition, ces deux œuvres plongent les publics dans une zone d’ombre, où la véracité et les intentions du collectif restent volontairement ambiguës. MSCHF joue ici sur l’inconfort, obligeant à s’interroger sur la porosité entre le réel et la fiction, et sur la manière dont le capitalisme s’immisce au cœur de nos interactions quotidiennes.

La mécanique du capitalisme
D’une manière plus générale, le pastiche de MSCHF se concrétise par l’implication récurrente des publics aux performances. Avec ATM Leaderboard (2022), le collectif joue sur la frontière entre le banal et le subversif. L’œuvre, un distributeur automatique de billets tout à fait fonctionnel, classe à leur insu les utilisateurs en affichant leur solde bancaire sur un écran, accompagné d’une photographie discrètement prise lors de l’insertion de leur carte. Ce système crée un « tableau de bord » où l’identité des participants se résume à un visage et un chiffre en dollars : ou comment inviter à une réflexion grinçante sur les dynamiques sociales et nos jugements dans un monde dominé par les chiffres et la performance.
Avec Key4All (2022), le collectif pousse encore plus loin la dimension participative. En distribuant des milliers de copies de clés d’une Chrysler PT Cruiser 2004, MSCHF ouvre la porte – littéralement – à une expérimentation sociale inédite. Initialement conçue comme une compétition de Grand Theft Auto grandeur nature, où les participants auraient dû se disputer la voiture, l’expérience a pris un tournant inattendu. Une communauté bienveillante s’est formée, transformant le véhicule en un objet collectif, sans cesse réparé, repeint et accessoirisé au fil de son périple à travers les États-Unis. La Chrysler a finalement atteint Truckee, en Californie, où elle est tombée en panne, clôturant ainsi son voyage dans une ultime ironie mécanique.

… et de la provocation
« Nos créations invitent à un engagement public généralisé et suscitent un discours critique, brouillant souvent la frontière entre l’activisme, l’art et le divertissement », résume le collectif. Quitte à parfois flirter avec les limites de la légalité. En atteste l’incroyable performance Spot’s Rampage (2021) où des participants sont invités à prendre le contrôle à distance d’un robot de Boston Dynamics équipé d’un pistolet de paintball et placé dans une galerie d’art. Via une diffusion en direct, les téléspectateurs pouvaient ainsi piloter le robot et tirer avec le pistolet, transformant l’espace en champ de ruines. Une performance engagée pleine de dérision qui n’a visiblement pas été du goût de la firme américaine spécialisée dans la conception de robots. Dans un communiqué, cette dernière déclarait : « L’art provocateur peut aider à promouvoir un dialogue utile sur le rôle de la technologie dans notre vie quotidienne. Cet art, cependant, déforme fondamentalement Spot® et la manière dont il est utilisé pour notre vie quotidienne. »
« Nos créations invitent à un engagement public généralisé et suscitent un discours critique. »
Après avoir d’abord tenté de soudoyer le collectif en lui offrant des robots, Boston Dynamics a publiquement condamné le projet pour avoir utilisé Spot® « d’une manière qui favorise la violence, le préjudice ou l’intimidation » et a menacé le collectif de poursuites judiciaires. Finalement, Boston Dynamics a désactivé à distance le robot acheté légalement par MSCHF au motif que ses « produits doivent être utilisés conformément à la loi, et ne peut pas être utilisé pour blesser ou intimider des personnes ou des animaux. » Par la suite, MSCHF a commémoré ce cadavre robotique avec autant d’armes qu’il pouvait en contenir – rappelant, malgré toutes les tentatives de la part de l’industriel, la finalité militaire de ces robots.

Museum Of Forgeries (2021) est un autre bel exemple de cet art de la provocation, ici mis au service d’un questionnement autour des notions de valeur, d’authenticité et de spéculation au sein du marché de l’art : le collectif a acquis Fairies, un dessin à l’encre sur papier d’Andy Warhol, puis reproduit 999 copies identiques mélangées à l’original. Chaque exemplaire est vendu pour 250 $. En quelques minutes, les 1 000 œuvres ont été vendues. Si leur site internet avait omis de préciser leur intention artistique – c’est-à-dire effacer la provenance d’une œuvre unique pour jouer sur la spéculation – le collectif aurait été dans l’illégalité. C’est oublier un peu que c’est précisément là, dans ce défi permanent lancé aux conventions, que se trouvent la singularité et l’approche subversive de MSCHF !
- MSCHF présente l’ensemble de son travail dans un livre intitulé Made By MSCHF (éditions Phaidon), 69,95 euros, dont la sortie est prévue le 11 mars 2025.


