Plus la technologie prend de place dans notre société, plus son champ lexical s’étoffe. Parmi les mots complexes qui entourent son expansion, « permacomputing » méritait bien qu’on s’attarde sur son cas.
Contraction de « permaculture » et de « computing », le « permacomputing » désigne une approche inspirée des principes de cultures lentes afin de nous encourager à repenser notre rapport à la technologie. Le but ? Concevoir des systèmes informatiques durables et résiliants, respectueux de l’environnement et en opposition avec la société de (sur)consommation qui caractérise notre ère. Car oui : si la technologie n’est pas aussi palpable qu’un mouchoir jeté par terre, elle pollue bien plus.
Pour pallier ce gaspillage énergétique, cette vision low-tech et décroissante des secteurs numériques gagne du terrain chez les spécialistes de la question – à l’automne dernier, elle était même la thématique du festival Octobre Numérique d’Arles. Utilisé pour la première fois au début des années 2020 par des cercles d’artistes et de designers d’Europe du Nord, le terme « permacomputing » s’est rapidement imposé comme un champ de recherche essentiel, en même temps qu’un moyen de repenser notre consommation numérique. Interrogé par HACNUMedia, Vincent Moncho, directeur de Faire Monde, résume : « D’un côté il y a un courant de pensée avec des chercheurs, de l’autre des praticiens avec l’idée de changer de modèle, de production, contre l’obsolescence. C’est un courant de critique de la pensée technique. »
Réutiliser, recycler, recréer
Au-delà de la simple pensée théorique, le « permacomputing » peut-il devenir applicable concrètement ? Pour Vincent Moncho, oui. Cela ne fait même aucun doute : « Il existe désormais un courant qui privilégie des formes plus pauvres, voire obsolètes – le pixel art, le réemploi de vieux dispositifs – mais qui ne s’inscrit pas uniquement dans une posture de refus ou de nostalgie, confie-t-il, toujours à HACNUMedia. C’est une manière de découpler les normes esthétiques dominantes et d’ouvrir l’imaginaire à d’autres possibles. » À la manière de l’upcycling dans la mode, le « permacomputing » fait du remploi une force créative. Et permet à des artistes comme Maud Martin, Mathis Clodic, Chloé Desmoineaux ou Pierre Corbinais de repenser nos outils et nos pratiques pour qu’ils s’intègrent de façon plus harmonieuse dans les cycles naturels et les communautés.
Des utopies concrètes
Ces derniers mois, on assiste ainsi à la naissance de tout un courant de pensée, mais aussi artistique, qui illustre de façon digitale l’adage « c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures ». Ayant contribué à populariser le terme, l’artiste et chercheuse à l’université London Southbank Marloes de Valk est allée jusqu’à imaginer le projet hybride Damaged Earth Catalog, à mi-chemin entre l’œuvre d’art et l’encyclopédie, qui regroupe toutes les initiatives allant dans ce sens. Quant au titre, celui-ci est évidemment une référence à l’ouvrage Whole Earth Catalog de Stewart Brand, emblème de la contre-culture cybernétique des années 1960.
Si les projets artistiques et universitaires se multiplient, une question subsiste pourtant : le « permacomputing » pourrait-il devenir un modèle général et ne pas simplement incarner une niche dissidente, marginale ? Ou, au contraire, devenir un prétexte au washing en étant adopté par une trop grande partie de la société ? Le temps fera son œuvre. En attendant, reste en tête cette phrase extraite du manifeste du « permacomputing » (signé Ville-Matias Heikkilä) et citée par notre collaborateur Adrien Cornelissen dans son article pour HACNUMedia : « Le permacomputing vise à imaginer un tel avenir et à y parvenir. Il est donc à la fois utopique et concret. »