« Premier contact » est une série de mini-portraits pensés comme des speed-meeting, des premiers points d’accroche avec de jeunes artistes et leurs univers si singuliers. Ce mois-ci, Fisheye Immersive s’intéresse à l’artiste Sara Ludy, dont les œuvres invitent à contempler la matière sensible du numérique.
Un élément biographique
Née en 1980 en Californie, Sara Ludy s’est formée à l’Art Institute of Chicago, dans les nouveaux médias. D’abord designer dans un studio d’architecture, elle découvre très vite les potentiels sensibles des outils 3D et se dirige ainsi naturellement vers le code et l’espace non-physique. Un goût pour le virtuel qui marque le point de départ d’une recherche plastique tournée vers l’immatériel de la part de celle qui est désormais basée à Placitas, au Nouveau-Mexique. Dans sa pratique, les disciplines – son, vidéo, animation, sculpture digitale – s’entremêlent pour ne former qu’une esthétique à part entière.
Surtout, la technologie n’est jamais utilisée à des fins démonstratives ; elle est au service d’un rapport au monde, poreux, intuitif, presque chamanique. Inévitablement, cette vision a fini par séduire de nombreuses institutions, du Whitney Museum of American Art à la Vancouver Art Gallery, en passant par le Künstlerhaus Bethanien.
Une oeuvre
Active depuis 2009, Sara Ludy collectionne les projets. Parmi eux, Rooms est sans doute l’un des plus emblématiques. À travers cette série de paysages domestiques virtuels, générés en 3D, l’artiste américaine nous invite à une déambulation lente, flottante, quasi méditative dans laquelle chaque pièce est conçue comme un espace de résonance intérieure, évoquant des souvenirs vagues, des rêves enfouis, des seuils sans narration. Ici, l’architecture devient atmosphère. Les murs, des halos de lumière. Les sols, des caisses de résonance pour des nappes sonores éthérées. Ce sont des espaces faits pour être ressentis plutôt que compris.
Mais surtout, Rooms ne raconte pas. Il propose. Il enveloppe. Il ouvre une brèche entre le tangible et l’ineffable. À l’ère des expériences immersives tapageuses, Sara Ludy revendique une autre temporalité : celle de l’attention douce, de l’écoute sensorielle. « Mon processus est largement guidé par l’intuition et le présent : je laisse les choses se dérouler plutôt que de les forcer à prendre forme. Je ne suis pas attirée par la technologie pour sa mécanique ; je m’intéresse à sa rencontre avec l’inconscient, » confie-t-elle à Right Click Save au sujet de son œuvre.
Une exposition
Actuellement exposée à la Smart Objects de Los Angeles, Sara Ludy présente Later Fields, une série de peintures acryliques sur toile marquant un véritable tournant dans sa pratique. Explorant la matérialité de la peinture tout en conservant l’esthétique numérique du glitch, les œuvres présentent des surfaces texturées, des couches de peinture superposées et des motifs évoquant des interfaces digitales obsolètes. De quoi faire réfléchir les critiques, à l’image de Marie Heilich, qui estime que ces peintures « métabolisent la zone ambiante entre le monde en ligne et le réel, adoucissant les circuits dans lesquels nous sommes déjà immergés ». Une sorte de pont qui nous incite à repenser les frontières entre l’humain et la machine, entre le visible et l’invisible, et à envisager de nouvelles formes de sensibilité à l’ère numérique.