Manifestation emblématique de l’art numérique à Prague depuis 2013, le Signal Festival continue de grandir sur ses principes en proposant des déambulations nocturnes rythmées par des installations lumineuses grand public et des réflexions autour du rapport croissant entre homme et technologie via les œuvres de Max Cooper, Quayola, Markos Kay ou encore Shohei Fujimoto. Un cadre ambitieux dans lequel la nouvelle galerie Signal Space vient apporter une dimension immersive plus pérenne et intime.
Depuis treize ans, le Signal Festival peaufine la connexion entre la ville de Prague, notamment son impressionnant patrimoine urbain et architectural, et une technologie numérique qui se glisse avec aisance dans le décorum resplendissant de la capitale historique du royaume de Bohême. Porté par une affluence populaire flirtant avec le demi-million de visiteurs, le Signal Festival demeure donc un rendez-vous de déambulations nocturnes, au sein de l’espace public et dans l’écrin de bâtiments parfois très surprenants – les anciennes écuries du Savarin Riding Hall et leurs allures de friches urbaines berlinoises hors du temps. L’ambition revendiquée : permettre à chacun de traverser et visionner de multiples dispositifs lumières plus ou moins spectaculaires, dans un véritable confort de découverte.

Des installations sensibles et organiques
Au-delà des habituelles mise en scène de mapping architectural 3D – dont la plus réussie s’avère être le projet Itérations du studio barcelonais VPM, très rythmique -, plusieurs pièces attirent particulièrement l’attention durant cette édition 2025, qui s’est déroulée mi-octobre. Parmi les plus connues, on retrouve la vidéo aérienne et liquide du Tristan’s Ascension (The Sound of a Mountain Under a Waterfall) de Bill Viola au Couvent Sainte-Agnès, ou la très belle installation immersive de plantes métalliques lumineuses du Lux Domus de Josep Poblet dans les sous-sols de la Grammar School. Une dimension sensible et organique au plus près des éléments que récupère également à son profit le collectif taïwanais Peppercorns, avec sa création Tzolk’in Light, un numéro de projection aquatique déployant une séquence de motifs géométriques qui s’entrecroisent sur un mur d’eau vaporeux, directement élaboré depuis les flots de la rivière Vltava ceinturant la ville.
D’autres installations jouent une carte plus disruptive. L’une des plus réussies est incontestablement le Dinner With A Hyperobject de l’artiste Slovène Tadej Droljc au Savarin Riding Hall. Après avoir parcouru un long couloir et traversé quelques espaces rudéraux au milieu des vestiges de cet ancien hara royal, le public découvre une étonnante scénographie lumineuse disposée sur une scène frontale figée au fond d’un bâtiment. Dans une sorte de tambour/marmite jouant les creusets audiovisuels, une collision de lasers et d’un triangle de verre opère un ballet fascinant, entre rotation et télescopage, tandis que la bande-son appuie la nature profondément magnétique et industrieuse de l’œuvre.
Tout aussi SF et dystopique dans l’esprit, mais cette fois avec une référence plus ancrée dans les films d’anticipation américains des années 1950 – on pense ici aux envahisseurs de La Guerre des Mondes, en 1953 -, l’impressionnant cyborg Eye du Tchèque Antonin Kindl surplombe le parc citadin qui l’accueille comme un OVNI fraîchement posé, en scannant de son faisceau lumineux oculaire et bruyant des environs devenus subitement anxiogènes. À quelques pas de là, dans un autre environnement arboré subitement mis à mal, le collectif Rafani remporte quant à lui la palme de la performance ultime avec son Grill Flame.
À mi-chemin entre la démesure d’art total radical de certaines créations théâtrales in situ du Jim Rose Circus et une émeute de rue captée au plus près, le collectif tchèque déploie la chorégraphie hallucinante d’une escouade de lance-flammes grillant un pantin et une pique hérissée d’une tête de cochon au milieu de carcasses de voitures délimitant un environnement hostile, zébré de flickers et de sonorités techno-hardcore. Un show évidemment absolument impensable au cœur de l’espace public occidental.

Problématisation des consciences
Désormais principalement curaté par Pavel Mrkus, le Signal festival a été fondé en 2013 par le designer et acteur local incontournable des arts numériques Martin Pošta, qui avait posé les premiers jalons d’un évènement de cette nature dès 2010, en imaginant avec un groupe d’artistes locaux une performance de mapping sur la célèbre tour de l’horloge astronomique de Prague. Depuis le festival n’a cessé de grandir, en développant notamment une dimension internationale incarnée cette année par la tenue à l’Institut Français de Prague du Signal Forum 2025.
Des thèmes comme la guerre en Ukraine – assez perceptibles dans la performance précitée du collectif Rafani -, l’anxiété écologique – la question de la préservation des écosystèmes naturels pointe dans l’installation filmique Confluence de Davide Přílučík – ou les tensions sociales à travers l’Europe – Eye et sa connotation cyberwatching – percent ainsi à travers les filtres les plus inquiétants de ces différents dispositifs. « Dans le contexte actuel, L’approche éducative est devenue une partie intégrale de notre mission artistique, explique sans détour Martin Pošta, toujours en charge de la co-programmation du festival et toujours soucieux des grandes directions qu’il emprunte. La présentation d’œuvres artistiques demeure fondamentale, mais nous cherchons aussi à créer un dialogue pour aider notre public, à ne pas seulement voir des pièces d’art numérique. Il s’agit également de comprendre la réalité et les principes de réflexion plus ancrés dans le monde et ses évolutions que toute cette création induit. »

L’émergence d’une scène locale
Cette problématisation des consciences se doublent d’une efficacité concrète et pragmatique sur le terrain, avec un festival largement perméable aux collaborations actives avec les grandes marques (Sephora, Merceds/benz, Glo) – certaines d’entre elles disposant même d’installations artistiques propres -, mais aussi et surtout en soutenant activement la jeune création tchèque. « En grandissant, le Signal festival a choisi de prendre encore plus ses responsabilités vis-à-vis de la croissante communauté d’artistes tchèques, confirme Martin Pošta. Nous avons lancé des appels à projets, des commissions pour accroître la visibilité des artistes locaux, mais aussi leur exposition internationale en lançant ces dernières années des programmes de résidence avec d’autres institutions internationales majeures des arts numériques, comme la SAT ou le Centre Phi de Montréal, V&A à Londres, ou Ars Electronica ».
Le résultat se concrétise à travers le festival lui-même, avec une part non négligeable laissée aux artistes locaux dans les œuvres présentées, à l’image d’Antonin Kindl et de son dispositif robotique Eye. « Le Eye d’Antonin Kindl incarne parfaitement ce que nous avons souhaité faire ces dernières années à travers notre appel à projets Signal Calling, mené en collaboration avec PrusaLab, relève MartinPošta. Le dispositif explore les rapports tangents entre la vision d’un ordinateur et la perception humaine. Il utilise les techniques du machine learning, comme un cerveau prédictif analysant et réinterprétant constamment son environnement. »

Au cœur de Signal Space
Ce soutien à la jeune création tchèque transparaît dans ce qui constitue cette année la grande nouveauté du Signal Festival, la création d’un espace dédié aux arts numériques en plein cœur de ville : le Signal Space, curaté par Martin Pošta et dont le but est de présenter différentes expositions dédiées à la jeune garde de créateurs du cru. Mais elle n’est qu’un avant-goût de ce qui attend les spectateurs à l’intérieur des 1300 m² des vastes salles modulables du lieu principal de la galerie, fraîchement ouvert depuis le 1er octobre dernier. « Nous ne pouvions pas limiter le festival à quatre soirées par an, et par ailleurs il y avait définitivement besoin d’un espace de cet ordre, dédié à l’art numérique et immersif à Prague, se félicite Martin Pošta. Le Signal Space est donc notre réponse à ce manque. »
Pour célébrer l’ouverture ce nouvel écrin conceptuel de la création numérique à Prague, le Signal Space propose une première grande exposition baptisée Echoes of Tomorrow, par ailleurs auréolée dans le hall d’entrée d’une installation lumineuse pérenne serpentant au plafond, Synergie, conçue par Lukáš Dřevjaný et Daniel Pošta, le frère de Martin. L’exposition est un véritable régal pour les yeux et les sens avec une grande variété de propositions esthétiques et techniques, allant des jeux cinétiques de mouvement des petites planches en bois rétro-éclairés du dispositif Signes de Playmodes Studio aux impressionnantes chorégraphies de structures lasers rougeoyantes du Intangible #form de Shohei Fujimoton.

Avec le recul, on ne peut s’empêcher de repenser aussi aux jeux de perspectives visuelles labyrinthiques dignes de Yayoi Kusama du studio tchèque Preciosa Design (Crystal Pixels: Silent Reflections), au film immersif à 360° Everything du studio truc Nohlab, ou encore au Fighters de Quayola, et ses jeux expressifs algorithmiques portés à l’écran autour de la robotisation de l’exploitation d’une carrière géante de marbre.
« C’est une collection d’œuvres d’artistes que nous admirons et qui se situent justement au carrefour de l’art, des sciences et de la technologie, souligne Martin Pošta. Après treize ans à familiariser le public avec l’art numérique à travers le festival, nous avons estimé qu’il était temps de lui offrir un lieu plus propice à des expériences intimes, où le spectateur peut se concentrer davantage sur lui-même et son rapport au dispositif. Notre idée est désormais d’ouvrir un cycle de deux expositions par an, mais l’endroit étant encore nouveau, tout cela reste à affiner. » C’est en tout cas un nouveau signal fort envoyé depuis la décidément très dynamique cité de Prague en faveur des arts numériques.