Au cœur de l’image en mouvement, quelque part entre rêve et mémoire, se tient Sky Hopinka, à la fois cinéaste, poète, et descendant de la tribu Pechanga du peuple Luiseño, en Californie du Sud. Au Guggenheim de Bilbao, son œuvre, profondément politique, s’expose.
Sky Hopinka ne filme pas pour simplement documenter : il monte, il efface, il juxtapose. Actuellement présenté au Guggenheim de Bilbao, son travail s’articule autour des notions de territoire, de paysage autochtone, de langue comme matrice culturelle. Autant de thématiques nourries de ses réflexions personnelles qui passent par des formes hybrides, allant de la vidéo à la photographie, en passant par le texte. Chacune d’entre elles refusant le regard ethnographique imposé.
Dans ses films, une large place est ainsi accordée à la langue autochtone, qui n’est jamais un simple outil de communication ; c’est un symbole de résistance. Elle est rivière, chemin, pont fragile entre les mondes, gardien d’une mémoire que la colonisation tend à effacer. D’ailleurs, Sky Hopinka enseigne lui-même le Chinuk Wawa, idiome trop souvent oublié qui traverse pourtant encore le bassin du Columbia. Le faire revivre, c’est raviver une constellation de voix, une cartographie invisible que ses vidéos ne se contentent pas de traduire ; elles réinventent, elles restituent la langue comme paysage.

Fainting Spells : inventer le mythe manquant
Dans Fainting Spells (2018), trois écrans déroulent un poème visuel – les montagnes du Wisconsin, les ciels de l’Oregon et déserts du Nouveau-Mexique -, tous traversés d’une écriture manuscrite fragile comme la fumée. Le texte invoque le souffle, la cendre, les souvenirs, et déploie une trame narrative qui va du passage de l’effondrement à la résurgence. On y marche sur les rives, on y regarde le ciel, on y sent la terre vivre. Le son, l’image et le texte s’entrelacent, redonnant voix à celles et ceux qui sont contraints au silence forcé. Avec, en guise de fil rouge, Xąwįska, une plante sans mythe, ou dont le mythe s’est perdu.
Sky Hopinka décide en tout cas de l’inventer, de lui offrir une légende nouvelle, où guérison, effondrement et renaissance s’entremêlent. Un geste qui dit tout. Et prouve que, même si l’histoire coloniale a arraché les récits, il reste toujours la possibilité d’en recréer, y compris dans la douleur. Car ici, comme ailleurs, l’art n’est pas mémoire figée ; c’est souffle qui continue.

Esthétique et engagement
Sky Hopinka refuse l »idée d’une œuvre contemplative sans conscience. À cela, il préfère explorer un cinéma presque abstrait, parfois, qui accorde une place importante aux images flottantes, à l’incertitude, tout en refusant la linéarité rassurante. On en avait déjà la preuve à Arles en 2022 avec Le soleil arrive quand il le souhaite, on en a désormais la certitude avec Fainting Spells au Guggenheim : son œuvre est comme un cinéma-poésie qui élargit le regard et qui ne se contente pas seulement de nous montrer ; il invite à ressentir, à interroger ce que signifie être autochtone aujourd’hui.
À une époque où beaucoup cherchent à « réparer » les omissions de l’histoire, Sky Hopinka, lui, opère un geste bien plus radical : il raconte selon ses termes, selon ses mythes, selon sa langue. Cela signifie restituer à l’Indigénité toute sa complexité, toute sa force, mais aussi sa poésie. L’importance de son oeuvre réside peut-être là : dans sa manière de refuser la simple « représentation » des peuples autochtones pour inventer des espaces de présence. Ses films ne parlent pas sur eux, ils parlent avec eux, dans leur rythme, dans leurs silences, dans leurs rêves. En filigrane, une conviction s’impose : créer aujourd’hui revient à réparer et à ouvrir. C’est dire au monde que les peuples autochtones ne sont pas des vestiges, mais des devenirs, des futurs.
- Fainting Spells, jusqu’au 18.01.26, Guggenheim, Bilbao.