Avec TAKKUUK, le plasticien Zak Norman, le réalisateur Charlie Miller et BICEP, grand nom des musiques électroniques actuelles, donnent voix, corps et territoire aux artistes autochtones du Grand Nord.
« Takkuuk ». Un mot simple, en inuktitut, qui signifie « regarde ». Mais dans cette langue, regarder n’est jamais un acte passif, au contraire. C’est une injonction. Une urgence. « Regarde ce que tu ignores ». « Regarde ce que tu oublies ». À travers cette installation immersive, BICEP, Zak Norman et Charlie Miller donnent chair à cet impératif. Loin des pistes de danse et des clubs saturés, le duo nord-irlandais explore ici un autre territoire : celui du climat, des voix marginalisées et des cultures menacées.
Présentée en avant-première à Londres le 3 juillet dernier, TAKKUUK s’inscrit dans le programme « EarthSonic », une initiative portée par la fondation In Place of War, qui soutient les artistes en zones de conflit ou de transition. Un projet qui propose une plongée inédite dans les réalités des peuples autochtones de l’Arctique, grâce à la puissance conjuguée du son, de l’image et du récit documentaire.
Un son qui se fait matière
Profondément impactante, cette œuvre trouve son origine en 2023, lors d’un voyage au Groenland. BICEP y découvre alors les luttes des artistes locaux, confrontés aux bouleversements environnementaux, à l’oubli institutionnel et à la disparition progressive de leurs langues. De cette rencontre germe un désir : celui de faire vibrer ces voix sur une scène d’une autre envergure. Aux côtés de Matthew Dear, producteur basé à Détroit, BICEP enregistre une série de morceaux collaboratifs avec des artistes autochtones, Katarina Barruk, Andachan, Sebastian Enequist, Tarrak, Niuja, Niilas et le duo Silla. Les sessions ont lieu à Reykjavik, pendant l’Iceland Airwaves Festival, dans le studio d’Árni Árnason (bassiste du groupe anglais The Vaccines). Le résultat ? Une bande-son hybride, où les textures électroniques épousent le souffle du chant traditionnel.
Enrichi par des captations de terrain réalisées par Andy Ferguson sur le glacier Russell, où le craquement de la glace se mêle au rythme lent des machines, l’ensemble s’appuie sur des matières sonores qui deviennent la colonne vertébrale d’une installation pensée comme une expérience totale.
Entendre, mais aussi voir et transmettre
« La créativité et la musique sont deux forces puissantes qui peuvent mettre en lumière des problèmes mondiaux qui doivent être abordés, » rappelle Philip O’Ferrall, Directeur général d’Outernet. Car TAKKUUK n’est pas qu’une œuvre musicale. C’est une immersion audiovisuelle à 360°, pensée pour les écrans géants de l’Outernet London – accessoirement l’un des lieux culturels les plus visités du Royaume-Uni. On y entre comme dans un monde parallèle : les images s’étendent du sol au plafond, les voix s’élèvent tout autour. Zak Norman, fidèle collaborateur de BICEP (et auteur de visuels pour Squarepusher ou Africa Express), y a sculpté une atmosphère visuelle dense, presque organique, voire chamanique. À ces images abstraites s’ajoutent les captations de Charlie Miller, documentariste rompu aux terrains extrêmes.
Ensemble, ils filment les artistes dans leurs lieux de vie : en Norvège, au Groenland, en Suède, au Canada. On y découvre des visages, des gestes, des regards. Des fragments de vie ancrés dans la nature, mais menacés par le réchauffement, l’exil, la marginalisation. À travers ces récits, TAKKUUK fait apparaître ce que l’on ne voit pas : les conséquences culturelles du changement climatique. Car ici, ce ne sont pas seulement les paysages qui disparaissent, mais aussi les langues, les traditions, les mythes.