Basée à Eindhoven, Teresa Fernández-Pello a l’Espagne dans le sang. Originaire de Madrid, l’artiste fusionne art fonctionnel, design et technologie créative, en imaginant des motifs câblés, presque religieux, souvent inspirés par l’iconographie médiévale. Rencontre.
« Dans mon travail, je cherche le sacré. » À y regarder de plus près, c’est vrai qu’il y a quelque chose de divin dans les sculptures électroniques de Teresa Fernández-Pello. Travaillant sur l’interdépendance entre le progrès technologique et spirituel au sein des sociétés contemporaines, l’artiste espagnole convoque ses propres références, mais aussi celles des autres, plus lointaines, pour tenter de tisser une toile universelle qui regrouperait en son sein toutes les manifestations du mystique.


Une nouvelle religion
« Je suis designer. Je travaille entre les disciplines du design, de l’art et de la technologie. Parfois, je dis aussi entre l’art fonctionnel, c’est-à-dire ce mobilier et ces objets décoratifs très artistiques et structuraux, et les technologies créatives. Avec, évidemment, l’utilisation des technologies numériques et électroniques comme ressources créatives ». Telles sont les explications de Teresa Fernández-Pello lorsqu’on lui demande de parler d’elle. Une définition à première vue nébuleuse, mais qui trouve du sens au fur et à mesure de notre échange.
« La technologie a créé tout un système de valeurs auxquelles la société moderne doit se plier. »
Formée à l’Académie de design d’Eindhoven, la jeune femme décide, très vite, d’utiliser le support-objet pour faire parler les esprits. Plus encore, l’objet, chez elle, est souvent le fruit d’une technologie froide qu’a priori tout oppose au spirituel. Et pourtant : « J’ai toujours été intéressée par les formes que prennent aujourd’hui la spiritualité et les récits spirituels. Ce en quoi nous croyons ou ce que nous pensons être, ce que nous vénérons…Pour moi, la technologie représente un système de croyance contemporain. Nous misons tout sur elle. » Dieu 2.0, l’intelligence artificielle répond aujourd’hui à nos prières via des chatbots. Une bonne raison pour la majorité de l’humanité de la louer, mais aussi de la craindre. Les ressources deviennent alors des offrandes, les Apple Stores, des églises et les ingénieurs, des prêtres désignés pour faire appliquer les dogmes. « La technologie a créé tout un système de valeurs auxquelles la société moderne doit se plier. L’efficacité, la rapidité, la productivité…, énumère-t-elle. Et nous croyons en cela. C’est comme ça que j’ai commencé à établir une connexion entre technologie et spirituel. »


Une imagerie religieuse 2.0
Partant de ce constat, Teresa Fernández-Pello imagine alors à quoi pourrait ressembler les icônes modernes, et compose l’imagerie religieuse de la technologie grâce à des sculptures empreintes de références sacrées. Des chandeliers câblés, des autels, néo-retables de fils encouragent alors la réflexion sur la manière dont nous interagissons avec les technologies modernes, et dont nous les vénérons, coûte que coûte. Et cela peu importe d’où l’on vient. « On peut voir du gothique dans mon travail, c’est vrai. Mais pas seulement. Mon but, c’était de trouver le langage du sacré. Donc je me suis plongé dans différentes traditions, avoue l’artiste, Bien sûr, je me suis intéressée aux traditions chrétiennes, catholiques occidentales, mais je me suis aussi penchée sur des traditions asiatiques et africaines. Je travaille ensuite avec l’IA pour tout assembler. »
« La technologie représente un système de croyance contemporain. Nous misons tout sur elle. »
Autels chrétiens ou bouddhistes rencontrent alors des figures d’Afrique de l’Ouest ou de Polynésie grâce à un processus complexe qui fait, une fois de plus, confiance à la technologie. « Je cherchais d’abord des images qui étaient similaires. Mais ce n’était pas moi qui décidais quelles étaient les références ; c’est l’algorithme qui trouvait des connexions entre un autel chrétien et un autel bouddhiste en termes de forme, de couleurs et de géométries. Moi, je les ai juste assemblées. » Teresa Fernández-Pello serait-elle une missionnaire comme une autre ?

La cathédrale moderne
À cette question, on serait tenté de répondre par la négative. Car, au-delà de fournir un travail d’artisan dévot, l’Espagnole propose surtout un ensemble critique, qui pose un regard sur notre désir constant d’amélioration. « J’ai grandi en Espagne, bien sûr que j’ai été exposée aux imageries chrétiennes, au gothique. Et j’ai pleinement conscience que cela se ressent dans l’aspect architectural de mon travail. » Il est vrai qu’admirer une œuvre de Teresa Fernández-Pello revient presque à s’extasier devant une cathédrale aux mille détails. Un goût du grandiose que la créatrice explique par son désir de se placer à contre-courant.
« J’ai grandi en Espagne, bien sûr que j’ai été exposée aux imageries chrétiennes, au gothique. »
« Tout cela part d’une question : pourquoi, avec la technologie, on tend toujours vers le plus petit ?, interroge-t-elle. De nos jours, plus on va vers le petit, le mieux c’est. Je m’intéresse aussi à ce qui se passe si l’on fait l’opposé : au lieu d’aller vers le plus petit, on va vers le plus grand. On rend ces technologies plus sculpturales, plus architecturales… de manière à les rendre peut-être moins efficaces, moins rapides, mais tout en apportant autre chose. C’est ce que j’essaie de remettre en question. » À contre-courant de cette course au minimalisme, Teresa Fernández-Pello n’en reste pas moins lucide quant à l’état du monde, dont elle regrette volontiers la course à la productivité : « Cette quête a tout à voir avec l’obsession de l’efficacité et de la rapidité. Mon rêve, ce serait de créer un ordinateur qui occuperait toute une pièce. Oui, peut-être qu’il serait lent. Mais on pourrait interagir avec lui de manière plus tactile, plus sensible. »


Après tout, les cathédrales représentaient une part importante des structures socio-culturelles qui régissaient la vie quotidienne à l’époque médiévale. Elles étaient l’endroit de dévotion, certes, mais aussi d’éducation, de célébration, et même de politique. De grandes valeurs qui, à la vue de l’avancée de cette nouvelle religion qui ne dit pas son nom, méritent un espace pour se déployer. Grâce à Teresa Fernández-Pello, cette idée prend tout son sens.