Theo Triantafyllidis : « La technologie est un acteur au sein d’un écosystème »

02 juillet 2025   •  
Écrit par Maxime Delcourt
Theo Triantafyllidis : "La technologie est un acteur au sein d'un écosystème"
Portrait de Theo Triantafyllidis ©The Knack Studio

Depuis sa présence lors de la première édition du Palais Augmenté, en 2021, on connaissait l’artiste grec pour sa capacité à étudier les thèmes de l’isolement, de la sexualité et de la violence dans des œuvres en réalité augmentée ou virtuelle. Avec Drift Lattice, sa dernière création, qui exploite des données écologiques en temps réel afin de générer une simulation live, on le découvre plus engagé que jamais en faveur des écosystèmes marins.

Je sais que tu travailles depuis environ un an sur Drift Lattice, une œuvre qui s’inscrit à l’évidence dans la lignée de tes travaux précédents. Quels défis se sont-ils présentés à toi lors du processus de création ? 

Theo Triantafyllidis : Pour moi, créer un écosystème artificiel ne consiste pas à concevoir un nouveau monde à partir de rien, c’est plutôt une méthode d’observation lente. Cela m’aide à adopter un état d’esprit plus contemplatif, en décortiquant soigneusement les relations complexes entre les organismes et leur environnement. C’est un exercice d’humilité qui me rappelle constamment à quel point les écosystèmes naturels sont à la fois complexes, résistants et extrêmement fragiles.

L’un des principaux objectifs artistiques était de donner à cet écosystème artificiel l’impression d’être véritablement vivant en introduisant des enjeux plus importants et en lui permettant de s’épanouir ou de se dégrader de multiples façons. Cette approche consistait à créer des liens plus nuancés et plus sophistiqués entre les différents acteurs, qu’il s’agisse de la vie marine ou d’objets fabriqués par l’homme. Chaque acteur, comme la pieuvre qui apprend à se camoufler dans ce nouvel environnement hybride, et les drones de nettoyage qui accomplissent la tâche sisyphéenne de collecter les plastiques marins, contribue à la narration émergente de l’écosystème.

Le principal défi a été de trouver le moyen de présenter des sujets liés au climat sans être trop didactique et émotionnellement prescriptif ou esthétiser la catastrophe. Mon objectif est toujours que le public établisse ses propres liens et récits. 

 Theo Triantafyllidis, Drift Lattice, 2025, Live Simulation ©Theo Triantafyllidis, Courtesy The Breeder & Meredith Rosen Gallery

Drift Lattice succède à BugSim (Pheromone Spa), 2022. Qu’est-ce qui te fascine tant dans l’exploration du monde aquatique ? 

Theo Triantafyllidis : L’écosystème marin me plaît en raison de son énorme échelle et de sa profonde complexité. Les océans couvrent la majeure partie de la planète et abritent une grande partie de la biodiversité terrestre, tout en restant largement méconnus et incompris. Ce mystère, associé à l’urgence de la dégradation des océans, m’a incité à explorer ce domaine. Il y a aussi une dimension personnelle, mon propre lien avec la mer. C’est une relation profonde, qui s’est probablement développée à force de vivre à quelques mètres d’elle. 

Vois-tu des parallèles possibles entre les écosystèmes marins et les réseaux autonomes de l’internet ?

Theo Triantafyllidis : Cette analogie est en tout cas intrigante, dans le sens où les deux systèmes sont vastes, décentralisés et impliquent des réseaux autonomes qui interagissent par le biais de leurs propres langages et protocoles internes. C’est certainement une métaphore à laquelle je pense beaucoup, des réseaux fluides, des profondeurs cachées et des interdépendances complexes.

Theo Triantafyllidis, Drift Lattice, 2025, Live Simulation ©Theo Triantafyllidis, Courtesy The Breeder & Meredith Rosen Gallery

Pour décrire Drift Lattice, tu évoques les livres de James Bridle et Holly Jean Buck. Pourquoi ces deux auteurs en particulier ?

Theo Triantafyllidis : Le discours de Holly Jean Buck sur les écosystèmes marins et la culture de varech pour la capture du carbone a directement inspiré mon approche initiale de Drift Lattice. Dans son livre, ​​After Geoengineering, elle suggère de nouvelles façons d’imaginer le paradoxe de la réparation écologique dans le cadre de ces interventions technologiquement complexes. Ce qui m’a le plus marqué dans le travail de James Bridle (l’écrivain britannique, notamment auteur de Toutes les intelligences du monde et Un nouvel âge de ténèbres), c’est sa façon de concevoir les intelligences naturelles, humaines et artificielles comme structurellement distinctes mais complémentaires. L’idée que ces différentes formes d’intelligence puissent collaborer, en particulier dans les scénarios de restauration du climat, me fascine. Je suis particulièrement attiré par l’idée d’interactions entre les intelligences artificielles et naturelles dans des environnements tels que ces simulations, où les humains sont relégués au second plan.

Theo Triantafyllidis, BugSim (Pheromone Spa), 2022, Live Simulation, Screenshot ©Theo Triantafyllidis, Courtesy The Breeder

Dans son livre, James Bridle évoque le concept d' »écologie de la technologie ». Ce concept trouve-t-il un écho chez toi ?

Theo Triantafyllidis : Oui, tout à fait. Je trouve qu’il est essentiel de considérer la technologie non seulement comme un outil, mais aussi comme un acteur au sein d’un écosystème, qui participe et modifie les relations entre les entités naturelles. Dans Drift Lattice, cela se manifeste explicitement à travers les drones, qui effectuent des tâches interminables, souvent sisyphéennes, de nettoyage marin. Ces drones ne sont pas présentés de manière héroïque, ils font tout simplement partie du tissu de l’écosystème, reflétant ainsi notre relation complexe avec la technologie et la nature.

À lire aussi
En studio avec Antoine Bertin : « Mon but ? Créer une rencontre entre la biodiversité et le machine learning"
Portrait d’Antoine Bertin ©Marin Leroux
En studio avec Antoine Bertin : « Mon but ? Créer une rencontre entre la biodiversité et le machine learning »
À 39 ans, Antoine Bertin utilise le son, le machine learning et les arts visuels afin d’intégrer les grands enjeux écologiques de…
20 décembre 2024   •  
Écrit par Maxime Delcourt
Barthélemy Antoine-Loeff : "Je crois assez fort à la sensibilité pour entrer dans des sujets complexes"
Barthélemy Antoine-Loeff sur la banquise ©Vanessa Bell
Barthélemy Antoine-Loeff : « Je crois assez fort à la sensibilité pour entrer dans des sujets complexes »
Invité à prendre le contrôle de la 42e édition de notre newsletter éditoriale, en tant que rédacteur en chef invité, Barthélemy…
17 janvier 2025   •  
Écrit par Maxime Delcourt
Fabien Léaustic, aux origines de la Terre
©Juan Cruz Ibanez
Fabien Léaustic, aux origines de la Terre
Présentée au Grenier à sel d’Avignon jusqu’au 7 juin, l’exposition “Sève élémentaire” de l’artiste-chercheur Fabien Léaustic interroge…
23 avril 2025   •  
Écrit par Zoé Terouinard

Explorez
Comment acheter et collectionner l’art numérique en 2025 ?
Comment acheter et collectionner l’art numérique en 2025 ?
En 2025, collectionner de l'art numérique ne relève plus d'un acte marginal ou d’une mode passagère. Grâce à des expert·es comme Fanny...
08 juillet 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Tabita Rezaire, rencontre avec l'artiste qui interroge les (des)astres
Tabita Rezaire
Tabita Rezaire, rencontre avec l’artiste qui interroge les (des)astres
Grande habituée de la Fondation Louis Vuitton, Tabita Rezaire y présente actuellement le film “Des/astres”, dernier volet d’une trilogie...
04 juillet 2025   •  
Écrit par Zoé Terouinard
En studio avec Vivien Roubaud : «  Je me protégerai toujours derrière la poésie »
En studio avec Vivien Roubaud : «  Je me protégerai toujours derrière la poésie »
Des stalactites en culture, des nuages géants de barbe à papa ou des imprimantes rampantes, les œuvres de Vivien Roubaud intriguent...
01 juillet 2025   •  
Écrit par Adrien Cornelissen
Caravage, Marrakech et Gaspar Noé : les 5 inspirations de Valentine Dardel
Portrait de Valentine Dardel ©Lola Bertea
Caravage, Marrakech et Gaspar Noé : les 5 inspirations de Valentine Dardel
Formée au design textile à Londres, Valentine Dardel est une artiste du corps, de la lumière et de la...
27 juin 2025   •  
Écrit par Maxime Delcourt
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Soyez prêts : la Biennale Némo revient la tête pleine d'illusions !
“Flock Of” ©Bit.studio
Soyez prêts : la Biennale Némo revient la tête pleine d’illusions !
Aux confins du tangible et de l’évanescent, la Biennale Némo revient cet automne avec une promesse : faire vaciller les certitudes, non...
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Zoé Terouinard
À la Fondation Vasarely, Lucien Bitaux part à la recherche d’un temps ancestral
Vue de l'exposition "Désastre des astres" de Lucien Bitaux ©Fondation Vasarely
À la Fondation Vasarely, Lucien Bitaux part à la recherche d’un temps ancestral
Jusqu’au 12 octobre 2025, l’exposition « Désastre des astres » fait dialoguer chaos et géométrie, sous la houlette de Lucien Bitaux...
Il y a 8 heures   •  
Écrit par Zoé Terouinard
"Le Rayon extraordinaire", la belle exposition de Flavien Théry et Fred Murie
“Le rayon extraordinaire” ©Flavien Théry et Fred Murie
« Le Rayon extraordinaire », la belle exposition de Flavien Théry et Fred Murie
Jusqu'au 19 juillet, l’Espace Multimédia Gantner accueille onze créations hybrides du duo français, toutes animées par l'envie de...
09 juillet 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Le jour où le Centre Pompidou a consacré le Net.art
« Scrollbar composition », 2000 ©Jan Robert Leegte,
Le jour où le Centre Pompidou a consacré le Net.art
Ils n’étaient pas nombreux, ces artistes à faire de l’écran leur territoire. Longtemps relégués en marge des institutions, les pionniers...
09 juillet 2025   •  
Écrit par Zoé Terouinard