Dans cette nouvelle série, Fisheye Immersive tente de faire taire les mauvaises langues : non, l’art et les jeux vidéos ne sont pas si éloignés. Bien au contraire ! Après avoir fait un point sur l’Amiga 500, un outil numérique mis au service de l’avant-garde artistique, retour sur l’une des « machinima » de l’artiste Miltos Manetas. Laquelle intègre le personnage emblématique de Nintendo, Mario.
Il est l’un des fondateurs du mouvement NEEN, né en réaction au manque d’inclusion des nouveaux médias dans la définition globale de l’art contemporain. Fasciné par Internet et les jeux vidéos, Miltos Manetas utilise les écrans d’ordinateur, la production digitale, les logiciels open source et le web afin d’imaginer des œuvres novatrices, aussi pop que critiques. Né dans les années 2000, ce mouvement survient après différentes tentatives créatives de l’artiste grec d’intégrer pleinement des éléments numériques au sein des espaces d’exposition.
Parmi elles, mentionnons la série Videos after Video Game, qui voit le jour dans la deuxième moitié des années 1990. Dans SuperMario Sleeping, l’une de ses « machinima » (œuvres vidéo basées sur des moteurs de jeu) imaginée en 1997, le personnage principal est représenté en train de dormir. Habituellement hyperactif, le plombier italien se repose ici dès qu’on le prive de la contribution extérieure d’un joueur. Une œuvre d’apparence simple qui met pourtant en réalité en lumière l’expression fondamentale de la nature du jeu : ici, le joueur devient spectateur, impuissant devant la scène qui se déroule sous ses yeux, tandis que le jeu, privé de sa fonction ludique, n’est plus qu’une série de code sans but, une vidéo qui tourne en boucle sans grand intérêt. « Les jeux vidéo ne sont pas des éléments de communications entre humains, mais plus important encore, ils représentent un dialogue entre humains et machines. J’ai décidé que si je commençais à écouter attentivement les jeux vidéo, ces machines intelligentes me diraient ce qu’elles ressentent et partageraient avec moi leur vision du monde », détaille le plasticien lors d’un entretien accordé aux curators Matteo Bittanti et Mathias Jansson en 2010.
L’art de ne pas jouer
À travers son travail, Miltos Manetas s’amuse également de « l’effet Toy Story », qui donnerait une vie indépendante à de purs objets de divertissement. Mario a, comme nous tous, besoin de repos ! « Il s’agissait de permettre à ces nouveaux venus, nos machines intelligentes, de se manifester et de révéler leurs histoires, explique l’artiste grec. Le fait que, quelques années plus tard, le machinima soit devenu un art narratif populaire montre que de nombreuses autres personnes, dont certaines étaient des artistes mais la plupart non, étaient intéressées par le fait d’écouter ces histoires. » D’ailleurs, dans cette série, l’artiste s’amuse à déplacer l’acolyte de Luigi dans divers lieux : sous un arbre, au sein des musées ou dans un parc entouré de papillons. Rien à faire : impossible de réveiller le petit personnage ronflant !
Très bien, mais au fond, cet ensemble de vidéo ludique mettant en scène un personnage issu de la culture populaire peut-il être envisagé comme un hommage au pop art ? En réalité, c’est tout le contraire : « À cette époque, mon intérêt pour l’état de l’art contemporain s’estompait déjà, confesse Miltos Manetas. Une fois que j’ai commencé à parcourir les différents niveaux de Super Mario 64 , j’ai presque complètement oublié l’existence de l’art contemporain. En 1999, je décide même de quitter New York pour m’installer à Los Angeles, car à New York, personne ne s’intéressait vraiment à toute cette culture numérique. À New York, les gens étaient trop absorbés par l’art pour remarquer que la vie changeait autour d’eux. (…) À l’époque, aucun critique, galeriste ou conservateur n’avait jamais joué à un jeu vidéo. » Nulle doute que, près de 30 ans après l’élaboration de ses premières oeuvres et 15 ans après avoir tenu de tels propos, Miltos Manetas serait heureux de voir les institutions muséales faire du pied aux mondes vidéoludiques.