Dans cette nouvelle série, Fisheye Immersive tente de faire taire les mauvaises langues : non, l’art et les jeux vidéos ne sont pas si éloignés. Bien au contraire ! Pour ce cinquième épisode, retour en 2012, année où le MoMA, à New York, fait l’acquisition de quatorze jeux vidéo. En tête, l’idée de faire entrer le 10ème art au musée sous un angle inédit : celui du design.
C’est une position forte, affirmée, définitive, qui clôt définitivement le bec aux détracteurs. En novembre 2012, le MoMA (Museum of Modern Art) annonce l’acquisition de quatorze jeux vidéo que l’institution new-yorkaise compte bien présenter en grande pompe lors d’une exposition à la galerie Philip Johnson l’année suivante. Parmi eux, on trouve notamment Pac-Man (1980), Tetris (1984), les Sims (2000) ou encore Portal (2007). Tous ont marqué plusieurs générations de gamers, tous sont depuis bien longtemps inscrits au panthéon de la pop culture. Pourtant, c’est un autre aspect de ces œuvres qui intéresse tout particulièrement les équipes du MoMA, qui expliquent alors dans un communiqué de presse que « les critères principaux pour l’achat de ces jeux » ont été « l’esthétisme et le design, la bande-son, le game-play et le scénario ».
Le jeu-vidéo comme objet de design
Exception faite du terme « game-play », tous ces qualificatifs sont habituellement appliqués à des œuvres d’art dites traditionnelles. Le geste du MoMA, institution muséale ô combien prestigieuse, est donc fort, et pose une question : le jeu vidéo pourrait-il s’apprécier via un prisme esthétique ? Pour Paola Antonelli, conservatrice principale du département de l’Architecture et du Design du musée new-yorkais, le cas du jeu est un peu plus complexe que cela. « Le jeu vidéo est incontestablement un art. Mais c’est aussi du design, et c’est d’ailleurs par cette entrée que nous intégrons le jeu vidéo dans notre collection. »
Du design, voilà un postulat intéressant. Car si Paola Antonelli évoque « l’élégance du code », la spécialiste intègre également des notions sociologiques qui justifient l’acquisition de ces jeux – lesquelles, à l’entendre, permettraient d’évaluer « les types de comportement du joueur ». À l’instar d’un style de mobilier, qui témoigne illico des tendances d’une époque, le jeu vidéo joue donc lui aussi le rôle de mémoire. C’est un marqueur d’une époque, d’une histoire, et a donc toute sa place au musée.
Dans son livre Extra Lives: Why Video Games Matter (« Secondes Vies: pourquoi les jeux vidéo sont importants »), Tom Bissell, lui, se concentre majoritairement sur la narration dans les jeux vidéo. Comme l’explique à Slate, Kate Carmody, assistante conservatrice au MoMA, dans un jeu, aussi beau soit-il, « il y a toujours le rôle, et la manière dont le rôle engendre le comportement ». Sur sa lancée, il ajoute que la narration d’un jeu ne fait que « participer à un plus grand dessein » : celui de guider le comportement du joueur. Ainsi, pour justifier de l’intention des game-designers, le musée américain a rapidement décidé d’acquérir les annotations sur le code comme on cherche à obtenir les croquis préparatoires d’un artiste avant son chef-d’œuvre. Pour Paola Antonelli, c’est même une évidence : « Le langage du programmeur prend la place du bois ou du plastique », tandis que le design d’un jeu vidéo peut facilement se comparer à celui « d’un tabouret ». Un nouveau débat serait-il né ?