Yehwan Song : « Coder est comme une langue avec laquelle je compose des poèmes »

Yehwan Song : « Coder est comme une langue avec laquelle je compose des poèmes »
“Hello” ©Yehwan Song

Elle vient de présenter une œuvre au Grand Central Madison à New York, ainsi qu’à la Galerie Joseph à Paris. L’artiste sud-coréenne Yehwan Song nous raconte sa démarche artistique, quelque part entre le code créatif, la poésie, la performance, le jeu et une critique féroce du grand web.

Du web, Yehwan Song dit qu’il est non-inclusif, contre ses utilisateurs, voire un brin autoritaire. L’artiste sud-coréenne Yehwan Song, qui maitrise à la perfection la programmation et le web design, nous embarque dans des installations, vidéos et sites web expérimentaux qui interrogent les codes, le confort et un regard sur le monde, imposés par la perfide culture web. Ce faisant, celle que l’on a pu voir exposer aux côtés d’artistes tels Theo Triantafyllidis dessine une expérience esthétique multimédia qui suggère un Internet plus ludique, interactif et davantage propice à la flânerie.

Capture d'écran de l'œuvre "Cry don't cry"
Cry don’t cry, 2021 ©Yehwan Song

Tu conçois des œuvres multimédias, des performances et des sites web expérimentaux qui mettent en scène le caractère abusif et non-inclusif d’Internet. Pourquoi ?

Yehwan Song : J’ai grandi en Corée du Sud, un pays dans lequel Internet n’est pas adapté : on ne peut y accéder dans notre langue. Pour créer le moindre compte, on doit avoir recours à l’anglais. Ce n’est pas juste. J’avais le sentiment d’être face à un système qui contrôle notre accès à l’information et au savoir, et qui par ailleurs prend vos données sans vous le demander. Personne n’en parlait. C’est ce qui m’a motivé à en faire la démonstration au sein de mes performances artistiques.

Je souhaite aussi interroger la question du confort sur Internet. La navigation nous semble facile parce que les sites utilisent nos données, mais aussi parce qu’on est quasi entraînés, dressés à scroller, à cliquer, à répéter inlassablement les mêmes gestes. Les sites web et les appareils connectés sont conçus selon une même méthodologie, les mêmes recettes. C’est comme si on avait forcé une esthétique, un design, une gestuelle auprès des gens. On n’en a même plus conscience.

YehwanSong
« Je donne corps à ce qui se passe en ligne et un effet virtuel à un geste physique. »

C’est un peu comme une grammaire qu’on nous aurait enseignée, tu crois ? Cela me rappelle les travaux de l’anthropologue Nicolas Nova, lequel interrogeait déjà en 2012 l’impact des smartphones sur nos gestes du quotidien. Tu y souscris ?

YS : Oui, il y a un impact physique des technologies et d’Internet sur nous. On l’oublie parce qu’on suppose que les mondes virtuels et réels sont deux espaces différents, alors qu’ils sont mêlés et connectés en permanence. Ce qu’il se passe en ligne nous affecte de manière répétée. C’est d’ailleurs ce qu’abordent certaines de mes installations. Je donne corps à ce qui se passe en ligne et un effet virtuel à un geste physique (voir les œuvres Cry, don’t cry, Gentle poking ou Haveyouever, ndlr).

Ce va-et-vient entre réel et virtuel nourrit la proposition présentée à la Biennale d’Helsinki en 2023. Newly Formed est à la fois une carte en ligne de la ville sur laquelle les visiteurs peuvent interagir avec les œuvres d’art des musées d’Helsinki…

YS : En effet ! Comme je l’expliquais plus tôt, ça n’a pas de sens de distinguer les espaces en ligne et hors ligne. Ce n’est pas ou tout noir, ou tout blanc. J’essaie de mettre en lumière les espaces « gris ». Du moins, je les invente.

YehwanSong
« Traduire les prompts de manière littérale, le coréen vers l’anglais, c’est ignorer tout un monde de richesses et des différences culturelles. »

Revenons sur la question des langues imposées, du moins majoritaires sur Internet. Le problème va-t-il se poser aussi avec les modèles grand public d’IA générative ?

YS : Oui, il se pose déjà. Et le problème n’est pas seulement dans le fait qu’un prompt rédigé en anglais aura plus de chances de recevoir une réponse aboutie. Il est aussi dans cette idée que les outils d’IA sont accessibles à tous grâce à la traduction simultanée. Ce n’est pas aussi simple. Il y a bel et bien une barrière culturelle. Traduire les prompts de manière littérale, le coréen vers l’anglais, c’est ignorer tout un monde de richesses et des différences culturelles. À nouveau, on marginalise les utilisateurs issus de cultures plus minoritaires.

Installation numérique de Yehwan Song où l'on voit le code apparaître sur une structure semblable à un bâtiment dont les fenêtres auraient été remplacées par des touches de clavier d'ordinateur.
©Yehwan Song

Dans ta pratique artistique, le code est central. Comment le considères-tu ? Comme une langue, un pinceau pour concevoir tes expériences artistiques ?

YS : Dans mon cas, c’est davantage une langue avec laquelle je compose un poème qui concrétise une vision qui m’est propre. Et j’ai une pratique assez libre et flexible du code. Je n’essaie pas de suivre des règles. J’écris mes idées, et puis, je teste. C’est itératif, un peu comme quand tu écris un poème.

J’ai eu la chance d’étudier à la School for Poetic Computation (une école d’art expérimental qui enseigne le code, l’informatique et les arts, fondée par des artistes numériques, ndlr). C’est là-bas que j’ai appris la programmation. Ça a été difficile pour moi d’apprendre, parce que la plupart des langages de programmation sont basées sur l’anglais, et je venais d’arriver à New York. Je devais donc traduire du coréen vers l’anglais, puis vers le langage de programmation. C’est une expérience qui m’a marqué de manière durable. Les professeurs de la School for Poetic Computation considèrent l’acte de coder comme une expérience poétique. Depuis, moi aussi (Elle sourit).

À lire aussi
Qui es-tu Ayoung Kim, récente vainqueure du prix Ars Electronica ?
“Delivery Dancer’s Sphere” ©Ayoung Kim
Qui es-tu Ayoung Kim, récente vainqueure du prix Ars Electronica ?
Alors qu’une de ses œuvres est actuellement exposée au HEK de Zürich dans l’exposition Collective “Worldbuilding – l’art dans le…
27 juin 2023   •  
Écrit par Lila Meghraoua
Gina Kim : « Grâce à la VR, je veux redonner une voix aux oubliées de l’histoire »
Gina Kim ©Elena Zhukova
Gina Kim : « Grâce à la VR, je veux redonner une voix aux oubliées de l’histoire »
Depuis 2017, la réalisatrice coréenne Gina Kim accomplit grâce à la réalité virtuelle et ses œuvres immersives un travail de mémoire…
09 mai 2023   •  
Écrit par Lila Meghraoua
La Corée décodée
Terminé
Exposition
La Corée décodée
26.0725.08
Grand Palais Immersif
Cet été, le Grand Palais Immersif prend les couleurs du Pays du Matin Calme pour une exposition immersive inédite et gratuite.
Explorez
Art numérique : 10 galeries à visiter au moins une fois
© Load
Art numérique : 10 galeries à visiter au moins une fois
De Paris à Barcelone, en passant par Londres et Buenos Aires, l’art numérique s'institutionnalise et se fraye une place en galeries....
14 novembre 2025   •  
Écrit par Zoé Terouinard
Archives, investigation en ligne et Roy Andersson : les 5 inspirations de Félix Côte
Archives, investigation en ligne et Roy Andersson : les 5 inspirations de Félix Côte
Lauréat du Prix Révélation Art numérique - Art vidéo | ADAGP, Félix Côte prend le parti de confronter le public à ses propres pratiques...
14 novembre 2025   •  
Écrit par Maxime Delcourt
MUTEK.JP, 10 ans de transformations sonores et visuelles
Daito Manabe @ 2023 MUTEK.JP | Photo by Shigeo Gomi
MUTEK.JP, 10 ans de transformations sonores et visuelles
Du 20 au 23 novembre, 36 artistes investissent Tokyo avec l'idée d'explorer le rapport entre le sonore et la perception. Un...
13 novembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Immersive
Représenter l’invisible grâce à l’IA : une esthétique de l’hypothèse
“Once Upon A Garden“ © Linda Dounia
Représenter l’invisible grâce à l’IA : une esthétique de l’hypothèse
Et si l'IA ne se limitait pas à compiler sous forme nouvelle ce que l'on sait déjà ? Si celle-ci servait au contraire à interpréter...
12 novembre 2025   •  
Écrit par Jade Lefeuvre
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Liam Young, bienvenue à l'ère de la science-fiction optimiste
« New Planetary Imaginaries » © Liam Young
Liam Young, bienvenue à l’ère de la science-fiction optimiste
Liam Young crée des univers speculatifs pour permettre une réflexion critique sur notre présent, et surtout, notre futur. 
14 novembre 2025   •  
Écrit par Zoé Terouinard
Art numérique : 10 galeries à visiter au moins une fois
© Load
Art numérique : 10 galeries à visiter au moins une fois
De Paris à Barcelone, en passant par Londres et Buenos Aires, l’art numérique s'institutionnalise et se fraye une place en galeries....
14 novembre 2025   •  
Écrit par Zoé Terouinard
Archives, investigation en ligne et Roy Andersson : les 5 inspirations de Félix Côte
Archives, investigation en ligne et Roy Andersson : les 5 inspirations de Félix Côte
Lauréat du Prix Révélation Art numérique - Art vidéo | ADAGP, Félix Côte prend le parti de confronter le public à ses propres pratiques...
14 novembre 2025   •  
Écrit par Maxime Delcourt
Loop Festival : mirage, mon beau mirage
« Garden of Electric Delights » © Billy Roisz
Loop Festival : mirage, mon beau mirage
Pour sa 23ème édition, le Loop Festival fait une fois encore de Barcelone le grand rendez-vous de l’image en mouvement. Sous le thème «...
13 novembre 2025   •  
Écrit par Zoé Terouinard