Art numérique et immersif : que retenir de 2023 ?

Art numérique et immersif : que retenir de 2023 ?
Exposition “psych.e”, Céline Dartanian x Dorian Rigal Minuit ©Quentin_Chevrier – 36 Degrés

Alors que l’on peine encore à se remettre des toasts de foie gras et des coupes de champagne, le moment est venu de regarder dans le rétro. Avec deux questions en tête : quelle année fut 2023 pour l’art numérique ? Et que nous réserve 2024 ?

C’est presque devenu une routine. À chaque début d’année, sa rétrospective. Et la nôtre est riche, l’art numérique et l’immersif ayant été les fers de lance des institutions politiques et culturelles françaises lors de ces derniers mois. L’arrivée fulgurante de l’intelligence artificielle dans le paysage bouleverse également les ministères et rabat toutes les cartes, sans que tout le monde ne saisisse encore de quelle manière. Entre l’acceptation de nouveaux usages, la démocratisation d’outils innovants, le désir de compréhension et une nécessaire régulation, l’année 2023 a été, pour la France, celle de la difficile prise de position. 

Le numérique, sur les bouches de tous les musées

Il suffit de prendre le métro, d’ouvrir un magazine, ou de trainer sur Internet.. À chaque fois, apparaît le même mot : « Immersif ». Réservée jusqu’alors à une niche, constituée d’une poignée de passionnés d’art, de geeks et de scientifiques, l’expression est désormais partout. D’abord dans la bouche de quelques initiés qui s’échangent le bon plan dans un cercle fermé ; puis, en 2018, lorsque l’Atelier des Lumières débarque dans la capitale, sur celles de tous les amateurs de nouveautés artistiques. Depuis, le vent a tourné et l’immersif tend presque à devenir la norme, la période Covid y étant probablement pour quelque chose. Après avoir été longuement fermées durant la crise sanitaire, les institutions culturelles ont effectivement tout à gagner en misant sur le format qui tient « de l’ordre du tourisme culturel » comme le souligne malicieusement Jessica de Bideran, maîtresse de conférences à l’université Bordeaux Montaigne, au micro de Radio France. 

Sensationnalisation de la moindre thématique, mises en scène spectaculaires et organisation à moindre coût (les expositions immersives sont 30 à 40% moins chères que leurs pendants virtuels)… C’est un fait, l’immersif, et plus largement le numérique, a conquis le cœur des musées français. En début d’année, le Grand Palais Immersif, lieu spécialisé issu de l’association entre la RMN-Grand Palais et l’Opéra de Paris ouvert fin 2022, célébrait ainsi la figure d’Alphonse Mucha, avant de projeter de l’art urbain sur ses murs grâce à du vidéo-mapping. De son côté, le Hangar Y, nouveau centre d’art géré par la fondation Art Explora (ouvert en mars 2023), propose pour sa nouvelle saison un ensemble d’installations numériques ainsi qu’une expérience immersive. Quant aux musées plus traditionnels, ils n’échappent pas non plus à la vague du numérique, de la Bourse du Commerce au Centre Pompidou, du Jardin des Plantes au Musée d’Orsay qui, en plus de son exposition de peinture dédiée à Van Gogh, propose une expérience VR et lance, à cette occasion, des souvenirs de l’exposition disponibles en NFT. 

Musées 2.0

Au-delà de modifier la façon même d’exposer, le numérique s’infiltre également dans les moindres fonctionnement du musée, de la billetterie à la médiation. En juin 2023, le Mucem a par exemple lancé le premier abonnement 100% numérique au monde, prenant exemple sur les services de streaming.  « Pour prendre son train, presque plus personne ne passe au guichet, expliquait le directeur du développement du musée marseillais au magazine Alternatives Economique. Dans les musées, la billetterie n’avait pratiquement pas bougé depuis le XIXe siècle. Avec cette offre, le but est de faciliter l’accès au musée. On peut y aller simplement pour une demi-heure, pendant la pause déjeuner. Aujourd’hui, nous sommes tous abonnés à des services, que ce soit pour écouter de la musique, regarder des films… »  

©Mucem

Un goût pour le numérique que l’on retrouve également au sein même des institutions. Après avoir numérisé la plupart de leurs collections durant le Covid, les musées continuent leur développement digital et s’attaquent aujourd’hui à la médiation. C’est le cas, par exemple, au musée de Cluny  qui, en octobre dernier, remplaçait ses antiques audioguides au profit de boîtiers connectés – un compagnon numérique qui va encore plus loin dans l’information. « On propose aussi aux visiteurs de mettre des favoris sur les œuvres qu’ils ont le plus aimées, pour lesquelles nous leur envoyons ensuite de la documentation supplémentaire », explique Harold Paule, chargé de médiation culturelle au musée de Cluny.

Une priorité pour l’Etat ?

Si le virage a été entamé il y a quelques années, 2023 marque un véritable tournant dans la valorisation du numérique dans le domaine de la culture. Il faut dire que cette année, le gouvernement a mis les petits plats dans les grands. Présenté par le président de la République en 2021, le plan « France 2030 » a investi 54 milliards d’euros dans l’innovation et a réuni le 1er juin dernier, à l’Opéra Bastille, les lauréats du volet « Culture », qui bénéficiait d’un milliard d’euros : la cérémonie, présidée par la Ministre Rima Abdul Malak, a notamment révélé les lauréats des appels à projets « Numérisation du patrimoine et de l’architecture », « Expérience augmentée du spectacle vivant » et « Compétences et métiers d’avenir », mais a aussi deux institutions. La Cité de l’architecture et du patrimoine pour sa démarche, consistant à proposer une nouvelle combinaison entre dispositifs architecturaux des collections et usage de la restitution 3D, et la Comédie-Française, pour sa plateforme numérique conçue comme un complément à la pratique en salle de spectacle. 

Exposition Van Gogh © Lucid Realities – TSVP – Musée d’Orsay – VIVE Arts

Les appels à projet, ce n’est d’ailleurs pas ce qui a manqué en 2023 ! En juin dernier, toujours, Emmanuel Macron déclarait fièrement au salon VivaTech : « On a les plus beaux musées du monde, on est le pays de la culture, on a tout pour réussir ». Avant d’annoncer le prochain appel à projet de « France 2030 » , doté de 150 millions d’euros et dédié aux « pratiques de culture immersive et de métavers ». L’objectif ? Continuer d’œuvrer pour une « France en tête de la production des contenus culturels et créatifs ».

L’IA, grande attraction de 2024 ?

Car le but derrière tous ces grands projets semble bel et bien de faire valoir l’Hexagone sur le plan international en matière de nouvelles technologies. Pour cela, il a fallu évidemment s’attaquer au gros dossier de l’année : l’intelligence artificielle, célébrée dans des œuvres programmées par différents festivals (Un Été au Havre, par exemple) ou questionnée lors des Rencontres d’Arles. Pour Sarah Hugounenq journaliste au Quotidien de l’Art : « On voit beaucoup l’IA comme une menace, mais on observe aussi dans les domaines culturels le développement de choses intéressantes, comme l’intelligence artificielle générative, soit la possibilité de créer des images et des vidéos par des algorithmes (…), mais aussi à la restauration des collections, comme on le voit en ce moment au V&A de Londres. »

Une course bien entamée que la France compte, sinon rejoindre, du moins gagner. Le 13 juillet dernier, le Centre Pompidou accueillait ainsi « Le futur n’est plus ce qu’il était : textes et images, nouvelle génération » : une rencontre autour de l’intégration de l’IA dans les collections du musée, soulevant au passage de nombreuses questions autour des droits d’auteur et de l’éthique. Des recherches qui aboutiront, en 2024, à une exposition au Centre Pompidou. 

Si l’exposer est une chose, la maîtriser en est une autre. Lancée fin 2022 aux États-Unis, l’IA générative ChatGTP a changé absolument tous les codes numériques, faisant prendre à l’Amérique une avance considérable dans la course à l’IA, suivie de très près par la Chine. Pour contrer cela, la France imagine Kyutai, réponse de l’Hexagone à l’OpenAI. Inaugurée le 17 novembre dernier, Kyutai, cette association à but non lucratif fondée par Xavier Niel (Groupe Illiad), Rodolphe Saadé (CMA CGM) et Eric Schmidt (ancien PDG de Google), s’appuie sur le supercalculateur Jean-Zay de Scaleway, une filiale du groupe Illiad, connu pour être actuellement la machine à calculer la plus performante pour les applications d’IA en Europe. Et ainsi faire de la France un pays attractif pour les talents locaux qui seraient tentés d’aller travailler à l’étranger dans les années à venir. 

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