3D, immersion, NFT : bienvenue à l’ère des expos 2.0 ?

3D, immersion, NFT : bienvenue à l’ère des expos 2.0 ?
Exposition “psych.e”, Céline Dartanian x Dorian Rigal Minuit ©Patrick Frontezak - 36 degrés.

« L’exposition de mes rêves, ce serait un évènement utilisant un tas de nouvelles technologies sans que les gens en aient conscience, qu’elles soient si bien exploitées qu’on en oublie leur présence ». Depuis Hambourg, où il gère la curation de VRHAM ! (Virtual Reality & Art Festival), l’Allemand Ulrich Schrauth ne masque pas son ambition, ni les défis qu’il reste à relever dans la façon d’exposer des œuvres numériques. Car, si le monde de l’art témoigne d’un véritable enthousiasme au sujet des expériences immersives et des performances digitales, un constat s’impose : nombre de ces installations ne sont pas encore totalement abouties, domptées, ressemblant parfois plus à un simple gadget marketing qu’à une réelle proposition artistique.

Exposition psych.e, Nino Filiu x Accalmie ©Patrick Frontezak – 36 Degrés

« C’est vrai que l’immersif a le mérite d’être très attractif pour le grand public, dans le sens où il promet de casser la froideur des musées, de briser cette frontière entre le spectateur et un tableau exposé dans un cadre doré au sein d’un espace blanc, souligne Georges de Saint Mars, président et curateur de 36° degrés. C’est aussi pour cela que l’on voit fleurir ces derniers mois un tas de grandes expositions immersives dédiées à des artistes bien identifiés. Parce que cela évite aux structures de payer certains droits, parce que cela rentre dans une logique de spectacle, et parce que c’est là un excellent moyen de séduire un public de masse. » Pour le Parisien, l’art immersif se doit toutefois d’aller bien plus loin, à condition d’avoir une histoire à raconter, de proposer des expositions adaptées à l’architecture du lieu qui les accueille, de son histoire, de ses particularités, etc.

Expérience augmentée

Ce ne sont évidemment pas les seuls challenges à relever. Outre la difficulté de trouver à Paris de grands espaces, plus aptes à accueillir des expositions immersives, il faut penser avec précision le parcours du visiteur, réfléchir à la projection, aux capteurs de présence, favoriser les déambulations aléatoires du public, accepter l’idée que ces évènements ne soient jamais complètement dématérialisés (écrans, casques, etc.).

« Dans la vie quotidienne, note Pierre Giner, artiste, scénographe et cofondateur Poptronics, l’usage des outils numériques répond à une pratique très individuelle. À l’inverse, une exposition se doit de s’adresser à tout le monde, de reposer sur des objets diffusables à tout moment, n’importe où, et c’est bien là toute la difficulté. Il faut faire en sorte de pouvoir étendre l’expérience individuelle, créer une immersion semblable à celle d’un jeu vidéo, au point que l’on en oublie la durée, l’espace, la gravité, tout en prenant en compte que, potentiellement, des milliers de personnes vont se succéder dans un même lieu au même moment. »

GeorgesdeSaintMars
« L’isolement a incité chacun à imager d’autres façons de consommer l’art. » »

À en croire Pierre Giner, la pertinence d’une exposition immersive reposerait donc sur sa capacité à orchestrer la rencontre entre des outils numériques et des éléments tangibles. L’idée ? Créer un véritable espace augmenté. On lui demande alors si les galeries NFT et les expositions dans le métavers ne s’inscrivent pas dans cette idée, constituant une possible révolution dans la manière de montrer l’art digital, sa réponse fuse : « Pour moi, cela ne démontre en rien une profonde mutation, dans le sens où l’on reste dans un circuit piloté par les institutions, et que les NFT ne sont finalement rien d’autre que les Ready-made de notre époque – des objets que l’on achète et que l’on transforme en œuvre d’art. »

De son côté, Georges de Saint Mars préfère y voir les prémices d’un profond changement : « C’est toujours intéressant d’utiliser de nouvelles technologies pour faire découvrir des œuvres et contourner certaines problématiques du monde réel, liées à la durée, à l’espace, à l’accessibilité. Reste que l’on s’est un peu trop vite engouffré dans cette brèche, d’autant que les plateformes virtuelles ne sont pas encore assez optimales. Mais sans doute est-ce là une des conséquences du Covid : l’isolement a incité chacun à imager d’autres façons de consommer l’art. »

La couleur de l’argent

Si 36 Degrés dit vouloir valoriser l’interprétation et la compréhension, refusant de rompre avec différents supports physiques (cartels, médiateurs, etc.), c’est aussi parce que la structure répond à deux objectifs : rendre honneur aux œuvres et proposer une vraie curation, ce qui est potentiellement le point faible de certains dispositifs apparus ces derniers mois. À l’image de YourArt, lancé par l’homme d’affaires Maurice Lévy afin permettre aux artistes de lancer leur metagallery, de montrer leurs influences et leurs inspirations dans leur propre musée. Est-ce là une nouvelle forme de monstration ? À coup sûr. Un dispositif réellement pertinent au sein d’une époque où les artistes ont déjà fait de leurs réseaux sociaux une sorte de vitrine personnelle ? Mystère. Toujours est-il que ce type de dispositif témoigne bien d’un marché de l’art en profonde mutation, tentant activement de s’ouvrir aux arts digitaux sans proposer aux visiteurs une simple succession d’écrans et de manettes.

Exposition psych.e, Céline Dartanian x Dorian Rigal Minuit ©Quentin_Chevrier – 36 Degrés

En parallèle, les institutions réfléchissent aussi d’un point de vue budgétaire, conscientes que le matériel nécessaire à ce type d’exposition est souvent plus coûteux que d’accrocher des photos ou de disposer des sculptures derrière des vitrines en verre. « Après tout, souligne Georges de Saint Mars, une exposition immersive implique un tas de technologies, de matériels informatiques, une adaptation complète de l’espace, etc. Et puis, il faut le dire, beaucoup de musées sont frileux de devoir avancer des frais de production et de s’aventurer dans une économie complètement différente pour des œuvres d’art qui, souvent, se vendent moins facilement que des œuvres classiques. » Et Pierre Giner de surenchérir : « Quand ils ne pensent pas le numérique comme un outil de communication, les musées redoutent tout simplement la duplicité des œuvres qu’ils exposent, craignant que les images finissent par remplacer les œuvres. »

PierreGiner
« Nos rapports sociaux sont déjà conditionnés par le numérique. ; il n’y a donc aucune raison pour que ces outils n’occupent pas une place centrale dans le champ de l’art.  »

Musée 2.0

De la même manière qu’il n’est plus nécessaire de passer à la radio ou à la télé pour avoir une résonance en tant que musicien ou humoriste, les artistes numériques sont aujourd’hui en mesure de penser leurs œuvres à destination d’autres lieux que les musées, « par essence toujours en retard sur les nouvelles formes d’expression artistique », pose Ulrich Schrauth. Sur sa lancée, le curateur allemand se laisse aller au jeu des pronostics : « Peut-être que l’avenir du musée est de penser à des expositions où le centre de l’expérience se trouve dans le partage, autour d’un verre, afin de renforcer l’interaction souhaitée. Peut-être que les grosses institutions finiront par se laisser convaincre par toutes ces nouvelles technologies et donneront naissance à une nouvelle manière d’exposer. Reste que de plus en plus de musées m’approchent pour monter des expériences numériques/immersives. Ce qui prouve bien que le milieu est en train de structurer et que l’on risque d’être les témoins de la création de nouveaux musées. »

En conclusion, Pierre Giner va même encore plus loin. S’il tient à rappeler que la patrimonialisation est une tradition très occidentale, citant en exemple la Chine, plus ouverte à cette notion d’images, le commissaire d’exposition est persuadé que l’immersif est une solution pérenne pour les institutions muséales. « Après tout, justifie-t-il, nos rapports sociaux sont déjà conditionnés par le numérique. ; il n’y a donc aucune raison pour que ces outils n’occupent pas une place centrale dans le champ de l’art. À condition d’en proposer une monstration respectueuse de leurs possibilités et de leurs caractéristiques. »

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