À chaque nouveau terme, son lot de questions : qu’entend-on réellement par « i.artiste » ? Peut-on parler d’œuvre lorsque l’on crée à l’aide d’une IA générative ? Est-ce un crime de sauter l’étape de la création d’images ? Tentatives d’explication aux côtés de trois figures de l’i.art. Pour ce troisième épisode, rencontre avec Takyon236, qui voit dans les intelligences artificielles une manière de ramener de l’imprévu dans le processus créatif
« Si on avait voulu que l’i.art devienne un courant artistique à part entière, il aurait fallu laisser le temps aux artistes de galérer, de tester, d’expérimenter. »
L’IA a-t-elle tout de suite occupé une place importante dans ton processus créatif ?
Takyon236 : La première fois, ça devait être il y a deux ans. Bien avant Midjourney et l’essor massif de toutes ces technologies modernes. Mon idée, c’était surtout d’utiliser l’IA pour de la génération d’images, selon une démarche profondément artistique. Tout simplement parce que j’œuvrais plutôt dans le processing jusqu’alors (une technologie permettant aux machines de comprendre le langage humain, ndr), et que je n’en étais pas pleinement satisfait. L’IA a donc changé mon approche, ma démarche artistique. Je pouvais désormais m’autoriser l’instabilité, l’erreur, l’imprévu, représenter des choses chaotiques tout en fusionnant l’IA et le processing.
Selon toi, quelle est la définition d’un i.artiste ? Ce terme définit-il pleinement ta démarche/ton approche ?
Takyon236 : Disons que ce terme a perdu de son sens. Il y a deux ans, ce qui est à la fois récent et terriblement ancien dans le monde de l’IA où tout va très vite, être i.artiste, c’était s’inscrire dans une niche d’artistes très pointus. Aujourd’hui, tout le monde ou presque utilise de l’IA, le mouvement est devenu énorme. Ça ne me paraît donc plus pertinent de me définir comme i.artiste, un terme auquel je préfère celui d’artiste, tout simplement. Mais bon, je dois l’avouer, je m’autorise cette étiquette uniquement pour me définir aux yeux des autres. Ça donne une idée aux gens, mais je n’en retire aucune gloire. Ce n’est là qu’un mot, une façon de répondre à des conventions sociales.
De ton côté, comment utilises-tu les IA ? Sont-elles présentes dès les prémices de tes créations ?
Takyon236 : Il faut savoir que mon imagination est très active. Je suis le genre de personnes qui peuvent visualiser des univers ou des scènes très complets, jusque dans les moindres détails. L’IA me permet donc de donner vie à toutes ces idées de la meilleure des manières. Par exemple, si un de mes rêves se fait dans une certaine couleur, je fais des tests, je pose mes idées et je fais tout mon possible pour m’en approcher au maximum via l’IA, l’utilisation de prompt et de modèles. Ce travail nécessite parfois quelques jours, parfois trois mois, mais j’aime prendre le temps de penser mon œuvre bien en amont avant de faire appel à l’intelligence artificielle.
Dernièrement, tu as créé Mono, une œuvre qui puise ouvertement son influence dans l’esthétique japonaise. Peux-tu me dire comment tu as procédé ?
Takyon236 : L’idée m’est venue au réveil : j’avais subitement envie de faire des posters inspirés par les publicités japonaises des années 1980, tout en ajoutant un côté science-fiction moderne, une esthétique héritée des light novel et un univers déconstruit, presque glitch art. Le problème, c’est que le glitch art est très mal supportée par l’IA… J’ai donc créé différents loRA models pour y parvenir, ne serait-ce que pour générer un personnage avec de grands yeux et développer un univers à partir d’un volume d’images beaucoup plus réduit. L’idée, c’était d’être le plus précis possible.
Comment vois-tu évoluer ce que l’on pourrait nommer l’i.art ? Certains pourraient penser qu’il s’agit là d’une tendance, mais toi, vois-tu cela comme les bases d’un nouveau grand courant artistique ?
Takyon236 : Si on avait voulu que l’i.art devienne un courant artistique à part entière, il aurait fallu laisser le temps aux artistes de galérer, de tester, d’expérimenter, etc. Selon moi, c’est la seule solution pour qu’un genre puisse devenir un mouvement à part entière. Là, à l’inverse, l’outil a fini par prendre le pas sur le style, ce qui a de nombreuses conséquences : aujourd’hui, non seulement quiconque peut créer à partir d’une IA, mais on voit aussi de nombreux nouveaux artistes essayer de produire des choses proches de ce qui existe ailleurs dans d’autres courants artistiques, plus traditionnels. Avant, chez les i.artistes, on sentait l’émergence de thèmes, de formes, d’erreurs. Aujourd’hui, je suis moins convaincu par l’impact que pourrait avoir l’i.art au sein du monde de l’art contemporain.