Avant de s’imposer dans les musées, l’art numérique trouve sa source dans les bibliothèques. « Book Club » revient sur ces livres essentiels des mouvements créatifs explorant les liens avec les nouvelles technologies. IA, métavers, réalité augmentée… Ces auteurs traitent de tout ! Aujourd’hui, focus sur Manifesto For Cyborgs, essai féministe et futuriste de Donna Haraway.
L’auteur
Diplômée de zoologie à l’Université du Colorado, rien ne semble prédestiner Donna Haraway à devenir la pionnière du cyberféminisme que l’on connaît aujourd’hui. Pourtant, alors qu’elle est professeure invitée de l’Université d’Hawaï dans les années 1970, elle commence à donner des cours de gender studies durant lesquelles elle s’intéresse à la différence entre les observations faites par des femmes primatologues et les théories édifiées par leurs homologues masculins – en 1980, la chercheuse américaine devient même la première professeure titulaire en théorie féministe aux États-Unis.
Très vite, Donna Haraway fournit une analyse féministe des techniques et se penche sur les enjeux économiques, culturels et sociaux en cours à l’ère digitale, inspirant toute une future génération de chercheuses et d’activistes sur le cyberféminisme (dernièrement, Ceren Su Çelik ou Shonee).
En 1985, elle publie son désormais célèbre Manifeste cyborg : science, technologie et féminisme socialiste à la fin du XXe siècle, dans lequel elle se sert de la métaphore du cyborg pour montrer que ce qui est considéré comme naturel (type le corps humain) est en réalité le fruit de constructions. Figure éminente du féminisme, la série animée japonaise Ghost in the Shell lui rend notamment hommage en faisant du « docteur Haraway » l’un de ses personnages phares.
Le pitch
Ouvrage incontournable des études de genre, son Manifeste cyborg trouve sa source dans une demande de la Socialist Review qui proposaient aux socialistes féministes américaines de réfléchir au futur du féminisme socialiste dans le contexte du début de l’ère Reagan. En s’appuyant sur mythe hybride du cyborg, Haraway met ici en lumière les frontières brouillées entre naturel et artificiel, et émet l’idée que l’humain soit connecté à une culture, des outils techniques, tout en rejetant les termes essentialisants qui n’intègrent pas toute la complexité des individus. « Le cyborg est une figure inédite de l’ expérience corporelle mais aussi de l’expérience sexuée : il permet de régler la question de l’adéquation du sexe au genre, en désindexant le genre des corps et de la régulation hétérosexiste des sexualités », écrit-elle.
Pour Donna Haraway, c’est une certitude, le cyborg interroge les rapports de pouvoirs tels que le patriarcat, le capitalisme ou encore le colonialisme. En mettant une figure mythique à distance, les biais humains sont révélés au grand jour et donc plus faciles à détourner.
Notre avis
Dans cet ouvrage emblématique, cité en référence par de nombreuses artistes rencontrées ces derniers mois (de Léa Collet à Lou Fauroux), Donna Haraway propose une orientation féministe pour l’avenir et envisage une société qui n’aurait que faire des questions de genres, ces dernières ayant été abolies par la technologie. Une lecture anticipatrice et essentielle qui bénéficie aujourd’hui d’un regain de popularité due à l’émergence de nouvelles théories cyberféministes et à l’intérêt naissant du grand public pour ces questions. De Haraway aux comptes instagram @Memespourcoolkidsfeministes ou @Clitrevolution, il n’y avait donc finalement qu’un pas.