Grande habituée de nos colonnes, l’artiste Josèfa Ntjam s’illustre également au sein d’autres médias, à commencer par Art Review , dont elle a réalisé la couverture du numéro « Power 100 ». Une œuvre inédite, inscrite dans une série plus large mettant en lumière les Noirs révolutionnaires.
Intitulée « what are we praying for? », cette couverture s’inscrit dans un projet plus large conjointement imaginé par l’artiste et Art Review en lien avec leur numéro annuel, « Power 100 » : un photomontage coloré dans lequel on aperçoit Toussaint Louverture tenant la constitution haïtienne en filigrane d’un paysage aquatique. « L’œuvre ne porte pas spécifiquement sur Haïti, bien sûr, une île encore aujourd’hui contrôlée par une puissance coloniale, mais sur le lien entre les Noirs révolutionnaires, précise Josèfa Ntjam. Pour moi, le travail consiste à donner une nouvelle vie à cette image, à la placer dans un nouvel écosystème radical, et pour cela, je superpose ces images dans un écosystème sous-marin. Une grande partie de la mémoire noire est perdue au fond de l’océan, notamment à cause de la traite négrière et du colonialisme, et ces mondes aquatiques sont un moyen de la ressusciter. »
(Re)créer du lien
Spécialiste des questions coloniales, l’artiste numérique ne s’est pas contentée de la création d’une seule image, mais a réalisé toute une série pour « Power 100 », que l’on découvre au fil des pages. Une série qui met en lumière d’autres personnages emblématiques de la lutte anti-coloniale, toujours sur le même principe, à l’image d’Elisabeth Djouka, combattante pour l’indépendance camerounaise décédée il y a quelques mois et vedette d’une œuvre éponyme. « Ma méthodologie de photomontage est vraiment basée sur ma façon de penser, en cartographiant une infrastructure tentaculaire, dans laquelle les histoires ou les personnes sont interconnectées par des racines et des membranes entrelacées, raconte Josèfa Ntjam. Avec ces connexions, et à travers la multiplication des images dans un seul cadre, je veux visualiser un écosystème. Le photomontage me permet de lutter contre une compréhension linéaire de l’histoire, et à travers la superposition d’images de créer un réseau, une imagination rhizomatique de l’histoire ».
Frustrée par les cours d’Histoire de son enfance qui morcellent les événements, sans les lier, Josèfa Ntjam tente de mettre en lumière les points d’accroches entre différentes luttes dans son travail dans l’idée fièrement revendiquée de rendre hommage à leur aspect intersectionnel. Toujours pour Art Review, elle détaille : « Le fait qu’Élisabeth Djouka vienne de l’Union des peuples du Cameroun, qui était aidée par le Parti communiste en France, au même moment où les Black Panthers sont venus en Algérie pour participer à la lutte pour leur indépendance. Vous avez donc ces interconnexions de la diaspora noire qui se sont répandues dans le monde entier ! »
Un travail aussi universel que personnel
Si l’art de la jeune plasticienne est plus que nécessaire, il est aussi un moyen pour elle d’inscrire sa propre histoire personnelle dans un pan plus large. D’origine camerounaise, Josèfa Ntjam est issue d’une longue lignée d’indépendantistes, dont elle n’hésite pas à insérer les portraits dans ses travaux. Une genèse qui explique également sa fascination pour l’espace, que l’ex-membre du collectif afro futuriste Black(s) to the Future met régulièrement en scène. « Cet été, je suis retourné chez mes parents à Paris et j’ai trouvé une photo dédicacée du premier astronaute noir, Guion Bluford, se souvient-elle, J’avais demandé à mes parents d’aller à une exposition de technologie et de science à la périphérie de Paris quand j’avais sept ou huit ans, et il était là. Quand j’ai trouvé cette photo, j’ai pensé à quel point il avait dû alimenter mon imagination. C’était le début de toute cette fantaisie, mais ce n’était pas de la science-fiction, en fait, c’était quelque chose de réel. Un astronaute noir ! » D’enfant fascinée à artiste engagée, il n’y a à l’évidence qu’un pas, peut-être petit pour Josèfa Ntjam, mais immense pour les idées qu’elle défend.