Habitat sonore, à Montréal, est un dispositif d’écoute en immersion dans les pouvoirs du son, débarrassé des perturbations extérieures. Il vient d’être réactivé dans le cadre de l’exposition Fury par l’artiste visuelle et cinéaste d’origine iranienne Shirin Neshat, qui s’appuie sur les morceaux d’Emel Mathlouthi pour offrir une résonance alternative à son propos politique.
Aux prémices, il y a une œuvre : The Fury, créée par Shirin Neshat au Centre PHI de Montréal, qui nous plonge dans le récit saisissant d’une « prisonnière politique fictive » à travers ses ressentis et ses traumatismes. En deux temps, on aborde le vécu puis le souvenir, c’est-à-dire la trace que les violences laissent dans les chairs et dans les têtes. Sont abordés, parmi les sujets centraux, le contexte d’incarcération en République islamique d’Iran, ainsi que l’exploitation sexuelle des prisonnières politiques.
Il y a, pour cela, une vidéo projetée sur deux écrans, accompagnée d’une voix féminine qui raconte, de manière poignante, le point de vue du corps. Ensuite, il y a la mise à disposition de diverses technologies, censées prolonger l’expérience en réalité virtuelle dans l’idée de faire « ressentir la charge physique et émotionnelle » du trauma. L’ensemble est d’ailleurs précédé d’un trigger warning avertissant les spectacteurs au préalable des violences représentées.
Transcender le visuel par la musique
On aurait toutefois tort de penser que les oeuvres de Shirin Neshat ne se suffisent pas à elles-mêmes pour parler d’immersion. Dans chacune de ses vidéos, la musique occupe une place à part. Puissante, viscérale, elle est une façon de communiquer par vibrations, par pouls, une manière dé décupler l’ampleur d’un événement tragique vécu intimement. Chez elle, chaque son permet de de transcender la dimension visuelle, factuelle, qui ne dévoile pas tout, pas suffisamment.
Il n’y a donc rien de surprenant d’étonnant à la voir aujourd’hui, au sein de l’environnement immersif d’Habitat Sonore, s’associer à la musicienne Emel Mathlouthi, dont les morceaux de l’album Everywhere We Looked Was Burning (2019) ont été réalisés à partir de field recording de sons naturels. Ces derniers « ont été intensifiés » pour les besoins de l’installation, transformant le vent, l’eau ou le feu en entités vivantes plaidant pour une attention accrue à notre environnement, pour une réconciliation du corps avec la beauté du monde.
En prime, notons que le spectre du propos politique n’est pas loin non plus chez la musicienne : Emel Mathlouthi est exilée tunisienne, contrainte de fuir son pays après avoir participé à la révolution en chantant ses titres contestataires sur l’avenue Bourguiba. Pour se relever, elle a depuis fait le choix de se détacher de ce passé en se tournant vers la nature et la création. À l’image, donc, de l’exposition The Fury qui, sans rien enlever à la dimension insurrectionnelle, apporte via la XR une issue poétique et salvatrice.
- The Fury, du 28 juin au 20 août 2023 au Centre PHI de Montréal, accompagnée de l’expérience d’Habitat Sonore