Perpétuellement à l’affût de nouveautés, le monde artistique s’éprend ces derniers mois pour les NFT artistes, sans que l’on sache toujours à quoi ce terme renvoi. Réel mouvement artistique ou simple abus de langage utilisé à des fins marketing ? Pour Fisheye Immersive, trois artistes françaises optent pour la seconde option, tout en revendiquant leur attrait pour ce nouvel espace dédié à la création digitale.
Depuis la démocratisation massive des NFT au printemps 2021, il est bon de dire que l’art digital est en pleine ébullition, qu’il aurait trouvé là une énième façon de se réinventer, de se frotter à d’autres médiums. Parfois, dans un évident souci de rassembler ces multiples propositions au sein d’une même catégorie, de les réunir sous une même définition, il est également tentant de parler d’art NFT, et donc de NFT artistes. Une double appellation qui, visiblement, ne parvient pas à faire consensus.
« Ce serait une erreur de penser le NFT comme un mouvement artistique. Tant de courants peuvent être regroupés sous ce terme… », estime JessyJeanne, prolongeant de fait la pensée d’Hermine Bourdin : « Je considère le terme NFT réducteur. Je n’aime pas l’idée que l’on puisse l’utiliser pour définir différentes propositions artistiques. C’est simplement un certificat de propriété associé à un objet numérique permettant aux collectionneurs d’acquérir des œuvres d’art digitales, même si certains artistes dans le crypto art « créent » justement à partir du smart contract. »
Nouveau médium
À 27 ans, Ethel Lilienfeld s’inscrit dans le même courant de pensée : le terme « NFT artiste » serait « trop réducteur », renverrait à un phénomène trop « récent pour donner raison à un seul point de vue », et ne serait finalement pas assez respectueux de la diversité des démarches artistiques de chacun. Au Fresnoy, à Tourcoing, où elle étudie, Ethel Lilienfeld précise d’ailleurs que chaque enseignant incite les élèves à « interroger les nouveaux outils technologiques qui nous entourent, à les expérimenter, à les décortiquer et, parfois même, à les détourner ».
C’est d’ailleurs là un trait commun aux différentes artistes rencontrées dans le cadre de cet article : outre cette volonté de ne pas appartenir à un courant artistique abscons, dénué de sens, Hermine Bourdin, JessyJeanne et Ethel Lilienfeld nourrissent l’envie de s’approprier le médium NFT, persuadées d’avoir trouvé là une autre façon de vendre l’art digital, une nouvelle manière de légitimer les arts numériques. « Dans le monde classique de l’art contemporain, on me disait souvent qu’il était compliqué de vendre une œuvre vidéo ou de faire partie d’une galerie. En cause ? Mon travail, qui n’est pas un objet physique comme une peinture ou une sculpture, poursuit Ethel Lilienfeld. La question de l’authenticité et de la rareté de la pièce se posait. Avec les NFT, j’ai donc vu la possibilité de voir et de montrer autrement l’art contemporain. C’est un nouvel espace. »
Un art ultra contemporain ?
Au sein de ce nouveau terrain de jeu, la plupart des artistes disent avoir trouvé un surplus de liberté, la possibilité de toucher des gens qui se fichent de savoir si telle ou telle œuvre est cotée ou non. « Ils achètent simplement ce qu’ils aiment, précise JessyJeanne. C’est bête, mais ça donne de l’espoir, ça libère le geste créatif, et ça permet de tisser d’autres liens avec les collectionneurs. »
Problème : l’art NFT est une définition bien trop vaste pour contenir les différents mouvements qui s’y distinguent. L’art génératif, les gifs, le trash art, le pixel art : autant de courants profondément variés qui incitent Hermine Bourdin à se détourner du terme « NFT artiste », préférant parler « d’art ultra contemporain » ou « d’art dématérialisé ». « Encore qu’il n’est pas aussi immatériel que le souhaitait Yves Klein, qui allait jusqu’à brûler la souche du reçu. »
Il faut croire que les définitions esthétiques importent finalement peu lorsque l’on s’intéresse à des artistes aussi peu soucieux des castes, des dogmes, des règlements intérieurs. Pour JessyJeanne, Hermine Bourdin, Ethel Lilienfeld et tant d’autres, seules comptent les nouvelles possibilités permises par ces technologies, comme de sculpter ou de peindre en VR, de prolonger la narration d’un film dans un autre espace, une autre temporalité, ou d’offrir davantage de visibilité aux artistes féminines, encore trop souvent tenues à l’écart des collections d’arts numériques.
« Je suis persuadée que le monde, de l’art mais pas seulement, va de plus en plus se tourner vers le numérique et ses nombreux dérivés. »
Aux côtés d’Annelise Stern, JessyJeanne a d’ailleurs créé en mars 2022 le collectif Gxrls Revolution en ce sens, dans l’idée de « mettre en avant les femmes dans le web3, de les accompagner dans la vente de leur travail, d’alterner entre des artistes déjà bien identifiées (Albertine Meunier, Sarah Meyohas, Sabrina Ratté) et d’autres à découvrir (Paola Pinna, Constance Valero, Sophia Kay). » Depuis, trois curatrices ont rejoint le projet, un catalogue a vu le jour (100 Womxn Artists To Follow In The NFT Space) et une exposition a été mise sur pied (la seconde, WAGMI, se tiendra du 15 au 20 juillet à la Galerie IHAM, Paris), faisant de Gxrls Revolution l’une meilleures portes d’entrée vers la création NFT.
France, terre d’avant-garde
En France, ce collectif n’est pas le seul à témoigner d’un intérêt profond et toujours plus fécond pour ce médium. Pensons aux galeries (Funghi Gallery, NFT Factory) ou à ces institutions qui intègrent des NFT dans leur collection (Centre Pompidou, Musée Granet, Opéra de Paris). Pensons aussi à tous ces artistes qui, de Pierre Pauze à Neïl Beloufa, d’Albertine Meunier à Sarah Meyohas, forment une scène qui, à défaut d’être unifiée sur le plan esthétique, nourrit une même passion pour les œuvres digitales. « Bien sûr qu’il y a une scène NFT en France », clame fièrement Ethel Lilienfeld, actuellement en pleine finalisation d’EMI (un court-métrage qui, entre prise de vue réelle, IA et image de synthèse, explore les codes de représentation de la féminité sur les réseaux sociaux). Et Hermine Bourdin d’ajouter : « On parle ensemble sur des chats, on échange, il y a le sentiment d’avoir créé une communauté en phase avec les enjeux de l’époque. Car, oui, je suis persuadée que le monde, de l’art mais pas seulement, va de plus en plus se tourner vers le numérique et ses nombreux dérivés. »
En France, c’est même devenue une certitude. « D’autant que le terreau a déjà bien pris », précise JessyJeanne, comparant l’effervescence française autour des NFT au désintérêt porté à ce médium en Finlande, où elle réside en partie. Et de conclure : « Je sais que des gens restent profondément opposés aux NFT, pensant qu’il ne s’agit là que d’une hype, mais j’ai plutôt tendance à penser que toute cette ébullition autour de ce médium est profondément liée à ce qui se joue dans nos sociétés. Le NFT n’est finalement que le reflet d’une époque où l’on se tourne toujours plus vers le digital. »