Au Québec, l’artiste James Duncan (1806-1881) est une célébrité dont les peintures ont documenté l’évolution de Montréal sur plusieurs décennies. Aujourd’hui, l’installation Mental Maps se sert de l’intelligence artificielle pour réinterpréter son œuvre et générer de nouveaux paysages 3D. Comment cette IA perçoit-elle le monde de Duncan ? Réponse du studio Iregular, à l’origine de ce projet actuellement présenté au musée McCord Stewart de Montréal.
Bien avant l’essor de la photographie, ce sont les nombreuses aquarelles et paysages urbains de James Duncan qui ont façonné la vision que les étrangers portaient sur Montréal. Le studio Iregular s’est ainsi inspiré de ce fait historique pour proposer un nouveau regard sur la construction de nos imaginaires collectifs : « Nous avons souhaité apporter une dimension sensorielle pour que les visiteurs puissent s’approprier autrement l’œuvre de Duncan, explique Daniel Iregui, fondateur et directeur créatif du studio Iregular. L’un des challenges était d’imaginer une installation cohérente avec l’univers de l’artiste et d’y ajouter d’autres éléments graphiques ».
Investir la machine
Pour cela, près de 150 œuvres de James Duncan ont été scannées, analysées, puis ont alimenté une intelligence artificielle (NeRF) basée sur un réseau de neurones capable de transformer un visuel 2D en scènes 3D. Le résultat est convaincant : l’installation génère en temps réel des tableaux de Duncan en relief ainsi que des topographies en nuage de points, tandis qu’un travail sur la composition sonore accompagne le visiteur dans son expérience. « Ce sont des nappes numériques, parfois mélodieuses, et des bruits de signal, qui sont composés en fonction des visuels générés. L’immersion se fait également autour du son », enchérit Alice Sanz, directrice multimédia du studio Iregular.
Mental Maps peut également être vue comme un petit pied de nez à la tendance du vidéo mapping, notamment revendiquée par de nombreux établissements culturels : la projection d’œuvres d’un artiste, aussi talentueux qu’il soit, ne justifie pas l’usage de l’adjectif « immersif » qui recouvre une toute autre expérience. « Ce qui diffère dans cette installation, c’est l’intégration du visiteur dans l’expérience. Ici, c’est sa présence qui déclenche les visuels contrairement à du vidéo mapping », complète Alice Sanz. En effet, les ombres des visiteurs font partie intégrante de l’œuvre : par un jeu de lumière, elles dévoilent de nouvelles réalités et en cachent d’autres, créant ainsi des expériences uniques et en constante évolution. Grâce à ce dispositif interactif complet, le public est en fait invité à pénétrer dans le cerveau de la machine.
L’IA, un complément, pas un concurrent
Ce projet prend à contrepied plusieurs idées reçues. D’abord sur la place de l’intelligence artificielle et la fascination dont elle fait actuellement l’objet. « Plutôt que d’être fasciné par le pouvoir créatif de l’IA, on propose de voir les choses différemment, analyse Daniel Iregui. Dans cette installation l’IA n’est qu’un médium, par les interstices qu’elle met en lumière, par ce qu’elle dévoile des œuvres de Duncan. Elle met en exergue le pouvoir créatif de l’artiste. Il y a une fascination pour l’IA et une fascination par l’IA. C’est très différent. »
Pour ne pas tomber dans cette logique d’IA toute puissante, Alice Sanz explique qu’« il ne faut pas envisager cette installation comme un prolongement de l’œuvre, mais une collaboration entre des artistes, l’œuvre de James Duncan et des technologies. L’envisager de cette façon offre une collaboration inattendue. » C’est sans doute ce que ressentent le public lors de sa visite au musée McCord Stewart : « Mental Maps est une installation présentée parmi d’autres pièces de l’exposition. Elle offre un autre regard sur le travail de Duncan et beaucoup de visiteurs retournent ensuite voir les œuvres de Duncan. »
« Il y a une fascination pour l’IA et une fascination par l’IA. C’est très différent. »
Enfin, le studio Iregular tord le cou à une idée trop répandue dans l’imaginaire collectif : celle d’une IA plus productive que les êtres humains. Daniel Iregui explique que « les modèles comme ceux proposés par OpenAI revendiquent une forme de productivité, de gain de temps. Ce type d’IA s’appuie notamment sur une base de données d’œuvres existantes sur Internet et produit des visuels figuratifs. Dans le cas de Mental Maps, on est à l’opposé de tout cela, tout est sur-mesure. » Un parti pris totalement assumé par Alice Sanz : « Notre choix de nous diriger vers l’IA NeRF, n’a jamais été guidé par la recherche d’un éventuel gain de temps. C’est un choix conceptuel et artistique. Le processus de création avec cette IA est donc très long. » Du temps, il faut bien ça pour créer une œuvre de qualité. Et disons-le franchement, le pari est parfaitement réussi !
- Montréal en devenir : Duncan, peintre du 19e siècle, jusqu’au 21 avril, Musée McCord Stewart, Montréal.