Au Centre Pompidou-Metz, les artistes s’emparent des codes du jeu vidéo

Au Centre Pompidou-Metz, les artistes s’emparent des codes du jeu vidéo

Animations 3D, expériences en réalité virtuelle, installations interactives et vidéos… dévoilée au Centre Pompidou-Metz, l’exposition truculente et ludique Worldbuilding : jeux vidéo et art à l‘ère digitale présente les différentes façons dont les artistes contemporains s’emparent des univers du jeux vidéo.

D’après Hans Ulrich Obrist, commissaire de l’exposition Worldbuilding : jeux vidéo et art à l‘ère digitale et directeur artistique des Serpentine Galleries, notre planète comptait en 2022 plus de trois milliards de gamers, soit un tiers des terriens. Ce chiffre colossal se justifie notamment par la démocratisation des jeux sur les téléphones portables. Malgré tout, de nombreuses personnes au profil divers s’inventent aujourd’hui des vies parallèles et virtuelles grâce à l’ingéniosité des concepteurs. À l’instar du film au XXe siècle et des romans au XIXe, ce moyen de divertissement propose un mode d’évasion singulier et permet de vivre des évènements que le réel ne nous offre pas. Surtout, la majorité de ces jeux propose des univers suffisamment riches, profonds et novateurs pour titiller l’imaginaire des artistes. 

Initiée par la Julia Stoschek Foundation, basée à Berlin et Düsseldorf, l’exposition instaure un dialogue entre les arts visuels et les jeux vidéo. Le parcours mène le visiteur à la rencontre d’un orque non-binaire, d’une IA serpentine douée de conscience, d’un oiseau chanteur hawaïen et de créatures marines capables d‘absorber les déchets : tout un monde virtuel fascinant et pourtant profondément ancré dans le réel, Worldbuilding abordant, derrière son aspect ludique, certains des enjeux les plus brûlants de notre époque, comme l’écologie et la question du genre – deux sujets tendance.

Mondes alternatifs ou fantasme post-apocalyptique ?

De Sara Sadik à Neïl Beloufa, en passant par Philippe Parreno, Ed Atkins et Refik Anadol, les artistes exposés profitent logiquement de cette thématique pour proposer des contres récits et un gameplay alternatif. Ainsi, plus de quarante artistes originaires de France, d’Allemagne, des Pays-Bas, du Royaume-Uni, des États-Unis, de Chine, d’Inde ou de Corée du Sud détournent des jeux vidéo aussi iconiques que Pacman ou Resident Evil. Le tour, depuis des salles agrémentées de canapés, de fauteuils, d’écrans géants, de casques VR, de bornes interactives, et même d’un dépôt d’appareils électroniques (une œuvre à part entière) !

The Bush Soul de Rebecca Allen (1999) ©Rebecca Allen

La bonne idée de Worldbuilding, c’est aussi de se dévoiler le long de cimaises fissurées, ou en parties détruites, évoquant un monde post-apocalyptique et imaginées lors de l’exposition précédente, Les Portes Du Possible – Art & Science-Fiction. Nulle fainéantise pour autant : ces dernières restent totalement en raccord avec l’univers du jeu vidéo. 

Outrepasser la réalité

Vous l’aurez compris : dans Worldbuilding, il ne s’agit pas de dégommer des hordes de morts vivants, mais plutôt de s’interroger sur notre monde. À l’image de LaTurbo Avedon, cet avatar non-binaire à qui aborde des thèmes ultra contemporains (l’identité et la paternité immatérielles) dans Permanent Sunset : un film réalisé à partir d’un moteur de jeu vidéo et proposant au visiteur d’évoluer aux côtés de ce personnage androgyne, de coucher de soleil en coucher de soleil, des moments qui évoquent souvent des virgules paisibles entre deux scènes d’action.

Permanent Sunset de LaTurbo Avedon (2020) ©LaTurbo Avedon

D’origine grecque, Theo Triantafyllidis développe les mêmes sujets dans Pastoral, tandis que les artistes britanniques, David Blandy et Larry Achiampong, profitent de A Lament for Power, réalisé grâce au moteur de jeu Unity et à partir d’images du jeu Resident Evil 5, pour ramener le visiteur au début des années 1950, à l’époque où Henrietta Lacks, femme africaine-américaine, meurt d’un cancer du col de l’utérus et se voit prélever des cellules cancéreuses sans son consentement.

Ces dernières, baptisées HeLa, continuent de se reproduire, permettent des découvertes majeures et contiennent toute la singularité de A Lament for Power : cette œuvre taxée de racisme lors de sa sortie, qui a pourtant l’intelligence d’utiliser l’espace virtuel du gaming afin de rendre visible l’enchevêtrement complexe de la science, de la politique et de la race dans les discours et récits de notre société. 

Parcours immersif

Qui dit jeux vidéo, dit également immersion. Dans ce domaine, l’exposition dévoile deux œuvres vertigineuses qui embarquent le visiteur sur les hauteurs d’écosystèmes oniriques. À l’aide d’un casque VR, le collectif allemand Transmoderna (2018) immerge le visiteur dans une planète mystérieuse, au milieu des ruines de colonies humaines sur lesquelles des sociétés post-homo sapiens prospèrent. Pourtant récente, Terraforming CIR, 2022 dévoile toutefois un univers psychédélique daté.

Plus ancienne mais plus aboutie, l’expérience de réalité virtuelle que propose Jakob Kudsk Steensen orchestre une rencontre avec le Moho de Kauai. Ce nom d’oiseau ne vous dit rien ? Normal, endémique de Hawaï, il a visiblement disparu depuis 1987…. L’artiste nous propose ainsi de l’observer dans son habitat qu’il a reconstitué à partir d’un scan tridimensionnel d’animaux et de fleurs. Des profondeurs d’un lac aux sommets des cimes des arbres, ce voyage se développe au rythme de la respiration du visiteur évoluant sur un tapis de copeaux de bois, pour plus de réalisme. Un enchantement, qui nécessite toutefois un peu de patience ; un seul casque par installation a malheureusement était mis en place…. 

Particulièrement hétéroclite, Worldbuilding est une réussite, et dévoile un monde « si loin, si proche » du nôtre : un miroir fascinant !

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