Pensée autour du thème Plurivers et Contingence, la Biennale Nova_XX confère au Centre Wallonie-Bruxelles/Paris des allures de zone 51, plongeant ainsi les visiteur·euses dans un univers où l’art contemporain rencontre l’art numérique. Ce qui s’y joue ? Des œuvres multidimensionnelles, des installations immersives ou encore des vidéos expérimentales présentées par des artistes féminines et non-binaires, assayant la position engagée de l’espace parisien. Au point d’acter définitivement la beauté des rapports entre humains et non-humains ?
Dès le début, nous sommes saisis par l’atmosphère créée par la lumière mauve, la voix d’une intelligence artificielle erratique et les cris d’oiseaux en fond sonore. Ces derniers, appartenant à de nombreuses espèces disparues – témoignant de l’impact de la crise environnementale -, sont générés numériquement par l’artiste sonore Marylou pour les besoins de l’exposition. L’ambiance est déstabilisante. À croire que nous ne sommes plus à Paris, mais bien plongé dans un univers de science-fiction. Tout converge en ce sens : la vision d’un mur recouvert d’aluminium, une machine low-tech qui bouge jusqu’à épuisement, une canopée de forêt suspendue faite de câbles lumineux clignotants, etc.
La Biennale Nova_XX : Plurivers & Contingence se constitue d’une « anarkhè-exposition », nommée en référence au concept d’anarchitecture, théorisé par l’artiste américain Gordon Matta-Clark, auquel la directrice de ce laboratoire d’expérimentations, Stéphanie Pécourt, aime faire référence au moment de décrire le caractère irrépressible et éphémère des productions artistiques. Il permet ici de souligner une volonté de faire « œuvre totale », de faire dialoguer les projets qui n’ont pas vocation à être conservés, puisqu’ils relèvent plutôt du geste. Dans ce territoire, où cohabitent des œuvres matérielles et immatérielles, des traces de performances humaines (artistes, visiteur·ices) ou non-humaines, le public est invité à réfléchir à des thématiques a priori pointues : les cosmogonies à l’ère liquide, les imaginaires de la conquête spatiale, les nanomondes, ou encore le bio-art, la géoingénieurie, l’art algorithmique et le cyberféminisme. Autant de notions qui, osons-le dire, peuvent sembler quelque peu barbares pour quiconque n’est pas un expert du monde scientifique. `
Perspectives futuristes
À parcourir l’espace d’exposition, volontiers rétrofuturiste, on se déleste toutefois aisément de ces divers termes techniques. « La Biennale, nous explique Stéphanie Pécourt, invite à sortir des visions eschatologiques et universalistes » afin de se laisser aller dans une déambulation au cœur de ce véritable vivarium et à « apprécier le retour de la machine primitive ». Se révèle ici une critique des arts dits numériques et digitaux, « trop racoleurs, trop séduisants », ainsi que celui d’un monde en constante mutation – d’où cette volonté de revenir à une esthétique primitive de la technologie, totalement débarrassée du côté spectaculaire propre à certains outils numériques.
Inscrites dans le champ des arts numériques, les œuvres exposées à la Biennale Nova_XX critiquent ainsi autant qu’elles attestent et incorporent de réelles données scientifiques et technologiques. Pensons ici à Bestioles, créée en 2022 par Marylou au côté de la Tour du Valat, une institut de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes, dans l’idée de dénoncer «le déclin et le désordre invisibles de la biodiversité de la Camargue». Pensons aussi à la vidéo expérimentale de Gala Hernandez qui aborde les liens entre la culture crypto et la cryogénie, deux technologies spéculatives pour lesquelles l’avenir incarne une forme de ressource économique à exploiter. Enfin, pensons à The World de Yue Cheng, une œuvre multimédia composée de matériaux pouvant se trouver dans les fonds-marins – un écran sur lequel est vidéoprojeté le plancher océanique, une baleine de la préhistoire sous une perspective futuriste, imaginée dans l’idée d’explorer les thèmes de l’archéologie marine et celui de l’effondrement industriel.
À l’image des autres œuvres présentées, The World ne se contente pas de formuler une réflexion sur notre relation au vivant ou à l’industrie ; elle questionne également l’avenir de l’humanité dans un contexte de crise écologique, invitant les visiteur·euses à prendre position quant à son rôle dans la création d’un avenir durable. De son côté, la série WhatRemains se compose d’une installation et d’une sculpture de Lou Fauroux. Cette dernière, rencontrée en septembre dernier dans son studio à Pantin, nous projette à travers un « mini Titanic » dans un univers post-apocalyptique, en 2048, au sein de ce qui pourrait finalement ressembler à épave de notre société contemporaine. Dans ce monde, il existe un remède contre la finitude – un logiciel d’immortalité digital permettant de se télécharger pour subsister-, en même temps qu’un réel intérêt porté aux enjeux éthiques liés à la présence d’intelligences artificielles au sein de l’expérience humaine.
Voyage dans la biodiversité
Enfin, comment ne pas évoquer AI In The Sky, l’œuvre écoféministe de Laura Cinti qui associe la technologie des drones et de l’IA générative afin de mettre en scène une quête tout à fait extraordinaire : retrouver le génome féminin d’une espèce rare de plantes se trouvant en Afrique du Sud, quand la seule ayant été décelée à ce jour possède le génome masculin et que celles qui existent désormais ne sont que ses clones. Cette synthèse entre l’art, la technologie et la conservation d’une espèce en voie d’extinction, est une incarnation parfaite de ce à quoi aspire la Biennale Nova_XX : permettre aux artistes, et donc à Laura Canti, de témoigner du déclin catastrophique et continu de la biodiversité.
Au-delà cette mise en lumière sensible du travail d’une vingtaine d’artistes femmes et non-binaires, largement sous-représentées au sein du monde de l’art, l’évènement parisien défend ainsi une conviction : que les outils technologiques à disposition peuvent contribuer à la sensibilisation, à éclairer des problématiques écologiques ou sociales, ainsi qu’à favoriser l’émergence de possibles solutions. Une évidence ? Peut-être. Mais cela n’a rien d’un mince exploit quand on sait à quel point le marché des arts numérique, très souvent porté par une vision futuriste des technologies, peut s’avérer énergivore.