Considéré comme l’un des principaux collectionneurs français sur le Web3, Brian Beccafico, alias Arthemort sur la blockchain, se penche ici sur trois problématiques liées au crypto-art. Que l’on pourrait résumer ainsi : comment en collectionner ? Comment les exposer ? Et comment apprivoiser l’état actuel du marché NFT ?
Comment décrirais-tu le profil des collectionneurs d’art dans le Web3 ? À 27 ans, tu dois faire partie des plus jeunes, non ?
Brian Beccafico : La plupart ont effectivement entre 38 et 50 ans. Ce qui est logique : il faut des revenus disponibles et avoir accès à l’emprunt bancaire pour acheter de l’art. Il faut aussi aller au-delà de la barrière technique… Moi, j’ai la chance d’avoir grandi au sein d’une famille de collectionneurs d’art contemporain, d’avoir bossé en tant que stagiaire ou autre dans plusieurs boîtes de communication liées à l’art, et d’avoir commencé très tôt à collectionner du crypto-art. Et puis, la vie a fait que j’ai touché un petit héritage, ce qui m’a permis d’acheter des œuvres en amont de la hype, quand tout était moins cher.
Le marché des NFTs fonctionne finalement de la même façon que n’importe quel autre marché : avec ses tendances et ses moments de folie. Alors qu’en 2021 ou 2022, les artistes utilisant l’IA générative comme Sofia Crespo, Robbie Barrat ou Refik Anadol ne devaient représenter que 30% du marché, aujourd’hui, je dirais qu’ils le représentent à hauteur de 70%.
Vient ensuite la problématique de la monstration… Comment exposes-tu les œuvres que tu collectionnes ?
Brian Beccafico : J’organise souvent des expositions ou des projections, je diffuse des œuvres sur mon Apple Watch, etc. Il n’y a de toute façon rien d’inhabituel à posséder des œuvres que l’on ne voit jamais, c’est même là le propre des collectionneurs. À titre personnel, je rejette la vision décorative de l’art : ce que j’achète n’est pas là pour suivre avec mon canapé. Je suis avant tout intéressé par l’œuvre, ses particularités. Et puis l’art numérique, contrairement à la peinture ou à la photographie, a été pensé pour être diffusé sur des écrans. Son immatérialité, c’est une chance : cela ouvre des possibilités énormes en termes de monstration. Plutôt que d’être visible à un seul endroit, une œuvre peut être diffusée au même moment dans plusieurs endroits différents.
« L’immatérialité de l’art numérique est une chance : cela ouvre des possibilités énormes en termes de monstration. »
Ces dernières semaines, on a vu une étude passer disant que le marché des NFTs n’a jamais été aussi bas depuis 2020. C’est une réalité ?
Brian Beccafico : C’est une tendance qui touche hélas toute l’industrie. Sotheby’s, par exemple, a perdu 25% de son chiffre d’affaires entre 2020 et 2024… Tandis que plus de 60% des galeries d’art de moins de trois ans ferment chaque année. Côté NFT, il y a certes moins de drops sur les petits artistes – un ou deux par mois qui méritent d’être suivis, quand tu pouvais en avoir dix par semaine il y a encore deux ans -, mais l’erreur encore trop souvent faite par les médias est de mélanger le marché NFT avec celui des PFP. Ce qui revient à confondre des œuvres d’art avec des objets à collectionner, fabriqués en édition limitée par des marques et qui n’ont pas vocation à être exposés dans les musées.
Une fois que l’on a fait cette distinction, on se rend compte que des artistes (je pense par exemple à Niceaunties, Refik Anadol ou Joe Pease) vivent très bien de leurs œuvres en NFT, et qu’il y a un vrai marché à investir pour les collectionneurs. De là à penser que celui-ci va révolutionner le marché de l’art contemporain ? Il faudrait déjà que les gens de l’art contemporain mettent un pied dans les NFTs… Pour l’instant, c’est plutôt l’inverse qui se produit.
- Cette interview est extraite du 45e numéro de notre newsletter éditoriale.