Stars d’une double exposition présentée jusqu’au 11 mai au FACT Liverpool, Christopher Kulendran Thomas et Bahar Noorizadeh partagent un même goût pour la revendication. Leurs manière de l’exprimer, elles, se révèlent bien différentes.
En confrontant les deux corpus d’oeuvres de Christopher Kulendran Thomas réunis au sein de Safe Zone avec une mise en scène revisitée du film Free to Choose de Bahar Noorizadeh, le FACT Liverpool invite les spectateurs à reconsidérer leur rapport à la politique, à l’économie ou aux médias. En bref, au monde tel qu’il est aujourd’hui et à ce qui en constitue ses caractéristiques, selon différents aspects.
Libres de choisir, vraiment ?
Pour explorer ce vaste thème, l’artiste, théoricienne, écrivaine et cinéaste londonienne Bahar Noorizadeh a donc imaginé Free to Choose, un film immersif critiquant le système néolibéral présenté ici sous forme d’installation vidéo. Dans les années 1980, l’économiste Milton Friedman décrivait ce système comme « la voie la plus sûre vers une société prospère et libre ». Aujourd’hui, Noorizadeh s’en inspire pour donner vie à un « opéra de science-fiction financière » basé dans deux Hong Kong – celui de 1997 et celui de 2047 -, où l’on suit Philip Tose, ancien pilote automobile et PDG de Peregrine Investment, une société locale qui tente de survivre malgré la crise économique de 1997 grâce à un emprunt fait à son aîné en 2047.
Si cet argent garantit la prospérité de l’entreprise aux yeux du protagoniste, ne l’enchaîne-t-il finalement pas plus qu’il ne le libère ? « Le risque est celui de mon entreprise… Le risque est le mien », est une des réflexions qui revient en boucle dans cet opéra en technicolor, tel un refrain entêtant, un avertissement qui, de fait de sa répétition, finit par se noyer dans le décor. À croire que la critique politique, chez Bahar Noorizadeh, ne cible pas uniquement le système bancaire, mais aussi le désir de prospérer à tout prix des sociétés contemporaines occidentales.
Un récit tout tracé
De son côté, Christopher Kulendran Thomas se penche sur la domination non pas monétaire mais impériale, imposée via les médias. D’origine sri-lankaise et tamoule, l’artiste britannique se base sur l’IA pour proposer un travail décolonial, examinant les récits fondateurs de l’individualisme occidental. Divisé en deux parties, son travail Safe Zone incarne à la perfection sa pratique et son désir d’exposer au monde le rôle du soft power dans les techniques de dominations contemporaines, héritières de l’époque coloniale. L’exposition rassemble ainsi une série de peintures autour de l’histoire de l’art colonial sri-lankais et une œuvre vidéo qui auto-édite des images de la télévision américaine.
Baptisée Peace Core, cette vidéo infinie est déployée sur une sphère rotative de 24 écrans diffusant en continu des images des chaînes quelques minutes avant l’interruption des programmes par le direct le 11 septembre 2001. Une façon d’opposer l’apparente légèreté de l’époque avec la « guerre contre le terrorisme » qui s’en est suivie à l’échelle internationale, autorisant des dérives politiques sous couvert de protection de la population. Au Sri-Lanka, une des mesures anti-terroriste a par exemple conduit, en 2009, à un massacre organisé de milliers de tamoules par des attaques aériennes et terrestres sur la plage de Mullivaikkal. On comprend alors que l’art politique, chez Christopher Kulendran Thomas est une manière de manipuler le récit médiatique, et donc de mettre en lumière des récits effacés par l’histoire dans des scénarios totalement nouveaux.