Disparue jeudi dernier à l’âge de 99 ans, l’artiste franco-hongroise Vera Molnár laisse derrière elle un héritage conséquent. Triste hasard du calendrier, elle fera l’objet en février prochain d’une exposition d’envergure au Centre Pompidou, Parler à l’œil.
Elle a vu naître l’art cybernétique, ancêtre de l’art numérique, et a contribué à le façonner. Née à Budapest en 1924, Vera Molnár s’installe à Paris en 1947, puisqu’il paraît que tout s’y passe. Largement inspirée par les lignes rigoureuses des géométriques Mondrian et Malevitch, ainsi que des membres de l’école du Bauhaus, elle cofonde en 1961 le Grav, un groupe de recherche d’art visuel qu’elle pilote aux côtés de François Morellet et Julio Le Parc, avec lesquels elle partage visiblement le goût des maths.
Car oui, Vera Molnár et les mathématiques – plus précisément encore le codage -, c’est une grande histoire d’amour. Dès la fin des années 1950, elle intègre ainsi des programmes informatiques à sa pratique : « L’ordinateur, si merveilleux soit-il, n’est qu’un outil qui permet de libérer le peintre des pesanteurs d’un héritage artistique sclérosé », confiait-elle au sujet de son travail.
L’esprit pionnier
L’ordinateur est si caractéristique de son mode de production qu’elle lui donne un nom, « machine imaginaire ». Simple astuce marketing pour démarquer son travail de la concurrence ? Plutôt une déclaration d’amour profonde à cet outil : en 1968, Vera Molnár devient ainsi la première artiste française à produire des dessins numériques en utilisant un ordinateur relié à une table traçante, accédant au passage au statut de pionnière du codage informatique dans l’art.
Tout au long de sa carrière, l’artiste fait de l’ordinateur son outil de prédilection, servant la création et jamais l’inverse. Tout, chez elle, de ses lectures (Art et ordinateur d’Abraham Moles, par exemple) à ses envies créatives, trahit l’envie d’utiliser des outils informatiques moins dans l’idée de privilégier le beau et l’esthétique, que d’en questionner les fondements, ce qui leur permet d’exister et d’agir ainsi. Lorsqu’elle s’intéresse aux NFTs, par exemple, encouragée par une approche préfigurant l’art génératif, Vera Molnár porte moins d’intérêt au rendu final qu’au code qui se trouve derrière l’œuvre et qui permet de créer une itération imprimée ou vendue.
Si sa mort, survenue un mois avant son centième anniversaire, bouleverse inévitablement le monde de l’art, nul doute que ses œuvres, sa démarche et sa vision resteront dans toutes les mémoires.