Sélectionné à Venice Immersive, Champs de Bataille de François Vautier détonne. Par son sujet historique, là où beaucoup de projets en VR s’attellent à imaginer l’avenir, mais également par sa technique. Entièrement filmé en prises de vue réelles, ce film offre une immersion inédite au cœur de l’horreur des tranchées. Entretien.
Pendant 300 jours et 300 nuits, à Verdun, 2,5 millions de soldats combattent. Malgré une victoire française, cette bataille, la plus longue de la Grande Guerre, sera surtout un bain de sang dans lequel de très jeunes adultes, apeurés, tentent de survivre, planqués dans les tranchées. Avec son nouveau film en réalité virtuelle, Champs de Bataille, le réalisateur François Vautier leur rend hommage. En marge de Venice Immersive, rencontre avec un amoureux d’histoire et de cinéma, dont le maître-mot semble être celui-ci : expérimentation.
Après huit ans de travail, votre film Champ de Bataille sort de terre. Comment avez-vous vécu sa nomination à la Mostra de Venise, au sein de la section immersive du festival ?
François Vautier : Entre l’idée et sa réalisation, il s’est effectivement passé huit ans, mais ça n’a pas été huit années de travail consécutives me concernant… Pour le producteur, Jérémy Sahel, en revanche, oui (rires) ! Il m’a vraiment porté, accompagné durant toute cette aventure. C’est lui qui est venu me voir et, fort de ses expériences en production dans ce domaine là, m’a dit : « François, il faut vraiment que tu fasses de la réalité virtuelle ». Hasard ou non, il se trouve aussi que Champs de Bataille est le premier projet que je lui ai proposé, tel qu’il était écrit à l’époque puisqu’il a été évidemment retravaillé, notamment grâce à des amis co-scénaristes, Geoffroy Grison et Vincent Pomero.
Il y a huit ans, il était enthousiaste, bien sûr, mais il était aussi bien conscient que ça allait être un projet compliqué, onéreux, ambitieux… Je n’avais pas encore les capacités de lever suffisamment de fonds à l’époque, dans le sens où je n’avais pas suffisamment de références en réalité virtuelle. D’ailleurs, pour la petite histoire, il m’avait dit : « Il faut faire, il faut faire ! » La Mostra de Venise approchait, et c’est comme ça que j’ai réalisé Eyes of The Future, qui était une de mes premières productions en réalité virtuelle et qui a lancé ma nouvelle carrière dans ce domaine. Ensuite, on a fait d’autres films, qui ont extrêmement bien marché, ce qui nous a donné davantage d’assise en termes de production et de légitimité pour envisager ce genre de long-métrage avec un budget conséquent. Concernant la Mostra, c’est la troisième fois que j’y suis nominé. Je suis plutôt un taiseux à travailler dans mon bureau 7 jours/7. Ma finalité, c’est de faire le film. Même si ce n’est pas un but en soi, que Champ de Bataille soit à la Mostra m’a évidemment ravi ! Cela signifiait que le film allait être vu par un large public et allait être programmés dans de nombreux festivals par la suite.
« J’avais le désir d’adapter une forme cinématographique classique à la réalité virtuelle »
Vos derniers travaux étaient plus conceptuels, portaient sur l’espace, le futur, la mise en scène de formes abstraites numériques. Ici, vous revenez à un cinéma plus classique, historique. Qu’est-ce qui a motivé ce virage ?
François Vautier : C’est un virage par rapport à la réalité virtuelle, mais disons que par rapport à mon cursus, je reviens simplement à mes premiers amours. Certes, je suis issu du graphisme, mais je me suis très vite intéressé au cinéma, à la réalisation, à la mise en scène, etc. Par le passé, par exemple, j’avais fait deux fictions pour Arte, un film d’anticipation et un film noir, ainsi que des documentaires. Je n’ai jamais voulu abandonner complètement ce versant là. Quand j’ai abordé la VR, je suis revenu à des formes plus simples, plus accessibles, que je pouvais faire avec mes propres moyens en explorant un domaine qui m’intéresse tout autant que la mise en scène, à savoir un travail graphique, plus conceptuel. J’avais mes propres moyens pour travailler, c’était plus simple. Mais j’avais le désir, en parallèle, d’adapter une forme cinématographique classique à la réalité virtuelle.
On a plus souvent l’habitude de l’animation dans les œuvres cinématographiques en VR. Vous, vous avez fait le choix de la prise de vue réelles. Qu’est-ce que ça implique ?
François Vautier : C’est une expérience dingue, extrêmement compliquée à mener, d’autant que le sujet lui-même est extrêmement compliqué. J’aurais pu faire un film en prises de vues réelles en studio, mais comme celui-ci portait vraiment sur les atrocités de la guerre, et sur tout ce que ces hommes ont pu subir dans la boue, dans l’horreur, dans le froid, c’était vraiment important pour moi que l’on place les comédiens dans un environnement hostile afin de retrouver les humeurs de la guerre. C’était un véritable enjeu. Tourner en VR, dans ces conditions-là, ça devient presque mission impossible. La plupart des gens qui étaient autour de moi quand j’ai commencé à parler du projet, connaissant mon expertise en effets spéciaux, s’attendaient à ce que je travaille en studio. Mais non, j’ai voulu me confronter au terrain, et je pense que c’est l’un des éléments-clés du film, dans le sens où l’on sent vraiment la puissance de la nature, qui tient une place centrale dans le projet.
En réalité virtuelle, tout est très lent, tout est très compliqué, extrêmement coûteux. Pour pouvoir relever toutes ces contraintes, j’ai développé des procédés technologiques qui m’ont permis de préparer le tournage bien en amont. Plusieurs mois avant que les caméras ne s’allument, j’avais déjà réalisé tous les décors, une espèce de maquette numérique du futur lieu de tournage qui m’a permis de tester tous mes mouvements de caméra, de cadrage, les premiers éléments de montage, etc. C’est absolument essentiel, ne serait-ce que parce que chaque plan coûte très très cher et que je ne pouvais pas me permettre de tester sur place. L’autre chose à savoir, c’est qu’en VR, il ne s’agit plus d’avoir des éclairages, toute une équipe, etc. Il a fallu se planquer, ne laissant que les protagonistes sur place. C’est pour ça que j’ai utilisé une caméra particulière. Avec les équipes du film, on a imaginé une caméra suspendue, à la manière des spidercams que l’on utilise généralement sur les terrains de football afin de retransmettre les actions. Cette caméra a l’avantage de se glisser au-dessus et à l’intérieur des tranchées sans avoir besoin de disposer des rails. L’autre avantage, c’est qu’elle est contrôlée par ordinateur, ce qui rejoint mon travail fait en amont parce que tous mes déplacements de caméra anticipés ont pu être reproduits instantanément sur le champ de bataille.
Dans votre film, on suit Julien, un jeune soldat. Vous avez confié que ce personnage avait le même âge que votre fils, Jules, que vous aviez l’habitude de regarder jouer à Battlefield. Comment cette anecdote a-t-elle nourri votre création ?
François Vautier : J’ai passé des heures avec lui à le regarder jouer à des jeux vidéos, à Battlefield en particulier, un jeu incroyable de guerre hyper-réaliste où les images et le sound design sont absolument dingues. Cela dit, ça a beau être fantastique, il n’y a pas d’émotion. Mon envie d’utiliser la réalité virtuelle est venue de là : c’est un outil utilisé par les jeunes gamers, mais je souhaitais le transformer afin de leur partager une émotion au travers de quelque chose qui ne soit plus un jeu de guerre, mais qui soit la guerre. J’ai pensé ce projet en me demandant ce que mon fils aurait pu ressentir s’il avait été appelé, à l’âge qu’il a aujourd’hui. Je pense que lorsque l’on s’attaque à un sujet aussi sensible que la Première Guerre mondiale, il faut aller chercher un peu en soi. Effectivement, j’ai projeté Jules, mon fils, sur le champ de bataille, mais j’ai aussi projeté l’histoire de mon grand-père, de mon père… C’est un phénomène classique que de puiser dans ses émotions personnelles pour nourrir un film.
« En réalité virtuelle, tout est très lent, tout est très compliqué, extrêmement coûteux. »
Vous mentionnez votre grand-père, qui lui-même a connu la guerre et vous a fait part de son expérience. Est-ce que ce passage générationnel était important pour vous ?
François Vautier : Oui, c’est quelque chose qui m’habite. J’entretiens des relations très fortes avec ma famille, et tout l’héritage qu’elle a pu me léguer. D’ailleurs, le film s’inscrit dans ce qu’on appelle « une célébration », c’est un hommage. Aux anciens, mais aussi à ceux qui sont notre avenir.
Votre film est volontairement très angoissant, mais contient également plein d’émotions, là où on a souvent tendance à traiter le sujet de la guerre avec distance… Ici, on ne regarde pas la guerre, on la vit. Seule la VR permet un tel degré d’immersion ?
François Vautier : Je pense que le cinéma traditionnel nous a prouvé qu’il pouvait tout faire. Je ne prétends pas que la VR puisse supplanter quoi que ce soit et permettre des choses que le cinéma ne saurait pas nous faire ressentir. On a tous ressenti dans notre vie des émotions extrêmement fortes devant notre écran et je n’opposerai jamais les deux médias. Cependant, la VR permet de faire ressentir différemment. Elle amène de la curiosité.
Vous avez dit un jour « la réalité virtuelle a cet incroyable pouvoir de faire rentrer le corps à l’intérieur du récit ». Pensez-vous que son utilisation puisse changer notre rapport à l’Histoire ?
François Vautier : La différence fondamentale entre le cinéma traditionnel et celui en réalité virtuelle, c’est la présence du corps dans le récit. C’est quelque chose d’absolument formidable, quand c’est maîtrisé. En revanche, cela peut être complètement contre-productif quand on se plante, ce qui est souvent le cas lorsque l’on cherche à transposer des codes cinématographiques à la VR – ce qui ne marche jamais ! Il faut vraiment les réinventer, et il n’y a qu’en travaillant, en testant, qu’on arrive à trouver des choses qui fonctionne. Mais quand on y arrive… C’est vraiment fantastique ! Quand on est au cinéma, on oublie son corps, on n’existe plus, tandis qu’en réalité virtuelle, notre corps est là mais ne doit pas faire obstacle au récit, et c’est là toute la difficulté. Quand on est dans Champs de Bataille, on se sent investi d’une façon tout à fait particulière dans le film, on ressent les choses plus fort. On ressent la boue tout autour de nous.